« Préserver les écosystèmes, c’est préserver la santé humaine, tout est lié »

Qu’est-ce qu’un cabinet écoresponsable ?

Dr Alice Baras : Plutôt que d’un « cabinet écoresponsable », je parlerais de praticien écoresponsable, car l’écoresponsabilité est d’abord une valeur humaine. La racine du mot « écoresponsable » qui vient du grec oïkos, signifie « maison ». C’est prendre soin de notre « maison » commune. Cette valeur peut se réaliser à travers l’écoconception des soins, en évaluant à chaque étape leur impact et les moyens de le réduire, le juste soin, la prévention et la promotion de la santé.

S’engager dans cette démarche résonne avec notre mission de professionnel de santé et raisonne avec notre mission de gestionnaire d’une structure de santé. Préserver les écosystèmes, c’est préserver la santé humaine dont elle dépend, tout est lié ! Les bouleversements environnementaux ont et auront de plus en plus d’impacts directs et indirects sur nos soins. Il est donc nécessaire de nous préparer aux nouveaux risques environnementaux, socio-sanitaires pour assurer l’accès aux soins malgré un contexte amené à être de plus en plus fluctuant…

Quels sont les postes les plus impactants à traiter en priorité ?

On pense souvent d’abord aux déchets quand il s’agit de réduire l’empreinte carbone d’un cabinet dentaire. Pourtant, le principal poste d’émission de gaz à effet de serre reste lié aux transports : ceux des patients, des praticiens et des prestataires, puis celui des achats. Si on cherche à baisser notre impact sur le climat, ce sont donc les transports qu’il faut prioriser. Autre angle souvent sous-estimé : la pollution chimique, alors même que l’activité dentaire repose sur l’utilisation de nombreux produits chimiques. Si leur impact environnemental reste encore mal quantifié, il est néanmoins déjà possible d’agir tout en respectant les recommandations professionnelles, prérequis de la démarche. On peut notamment veiller à la composition des dispositifs médicaux et matériaux de reconstitution, éviter quand c’est possible des produits contenant des perturbateurs endocriniens, des substances toxiques pour les organismes aquatiques ou cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR).

Peut-on faire réellement des choix plus durables sans compromettre l’hygiène ni la qualité des soins ?

Oui, et justement en connaissant et en appliquant les règles d’entretien et d’asepsie, on peut déjà limiter les usages et expositions aux produits chimiques superflus. En respectant le zonage du cabinet notamment. La salle d’attente ou le secrétariat n’ont pas besoin d’être désinfectés. Un entretien à la microfibre et eau est approprié par exemple. On peut aussi privilégier le réutilisable et en respectant les niveaux de traitement requis.

Quelles difficultés rencontrent le plus souvent les chirurgiens-dentistes dans cette démarche, et comment les surmonter ?

Selon une enquête menée en 2024 par le réseau Recol, le principal frein est le manque d’informations spécifiques à la profession. Pourtant, des ressources existent. Le vrai problème, selon moi, est qu’il demeure une dichotomie entre la gestion du risque infectieux et la gestion du risque environnemental. Celle-ci n’est pas intégrée de manière transversale à nos recommandations professionnelles. Certaines ont cependant évolué dans ce sens en établissement de santé autour de l’usage unique et de celui des produits d’entretien et de désinfection.

Quelles actions concrètes vous semblent particulièrement efficaces et inspirantes ?

Les démarches les plus efficaces sont souvent collectives. Certains cabinets pluriprofessionnels ont par exemple mis en place un groupe de travail dédié, intégrant la gestion des risques environnementaux à la gestion quotidienne. Cela renforce la cohésion et fait émerger une culture commune. D’autres élaborent une charte de cabinet incluant leur engagement pour la santé du vivant, la prévention, l’assurance qualité des soins.

Autre bonne pratique : formaliser des procédures claires pour chaque usage, notamment en matière d’entretien et de désinfection. Cela limite les dérives et réduit l’exposition aux produits toxiques. On parle alors de cobénéfices : c’est bon pour les écosystèmes, mais aussi pour la santé des patients et celle des soignants tout au long de la journée. Il y a bien sûr aussi des bénéfices économiques : moins de gaspillage, des achats plus raisonnés, une meilleure maîtrise des coûts. En somme, le praticien est gagnant sur tous les plans.

Quels conseils donneriez-vous à un praticien qui souhaiterait s’engager dans une démarche écoresponsable, mais ne saurait pas par où commencer ?

On peut commencer par se former, s’informer, échanger avec ceux qui ont déjà franchi le pas. Cela permet de s’inspirer de leur expérience, d’éviter certains écueils, et de se sentir moins seul. Il ne s’agit pas d’être parfait ni de tout changer d’un coup, mais de progresser par étapes, à son rythme. C’est aussi un travail collectif. Les institutions, le ministère de la santé (Feuille de route 2023de la transition écologique du système de santé), l’Assurance Maladie, les Unions régionales de professionnels de santé (URPS) s’engagent de plus en plus et accompagnent ces démarches afin qu’elles ne restent pas des initiatives isolées. On peut trouver que ce n’est pas assez rapide… mais plutôt que de se focaliser sur ce qui semble encore impossible ou hors de portée, concentrons-nous sur ce que nous pouvons déjà changer, et valorisons tout ce que cette démarche nous apporte !