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La téléconsultation dentaire

Le Covid a servi de crash-test : la téléconsultation a maintenu le lien et filtré les urgences. Depuis, le cadre s’est précisé : l’avenant n° 1 introduit et valorise la télé-expertise bucco-dentaire (TE2) pour des situations ciblées, notamment en ESMS/Ehpad, mais la téléconsultation réalisée par un chirurgien-dentiste n’est pas remboursée à ce jour (contrairement à celle des médecins). Dans les cabinets, l’usage reste pragmatique : postopératoire, avis sur lésion, orientation, etc. « Dans la totalité des articles, un niveau élevé d’acceptation de la téléconsultation dentaire a été enregistré. Dans l’ensemble des études, la plupart des patients réutiliseraient cette méthode et ont rencontré une satisfaction élevée. Les instructions, les plateformes et les informations reçues ont été facilement assimilables et comprises. Certains patients ont signalé des contrariétés qui avaient comme origine les difficultés techniques, la qualité sonore et la qualité de la connexion internet  », note le Dr Vuong Michel Nguyen, auteur de la thèse « La téléconsultation appliquée en médecine bucco-dentaire » publiée en 2022. Cette adhésion n’est pas anodine : elle valide l’outil comme complément du suivi présentiel.

Une mise à niveau indispensable

Si la téléconsultation est souvent présentée comme une réponse aux zones sous-dotées, les données montrent un recours surtout urbain, révélant un décalage entre potentiel et réalité. Pour en faire un vrai levier d’accès, il faut aligner organisation, équipements et protocoles. «  Il paraît par ailleurs indispensable de définir un cahier des charges de la téléconsultation en odontologie : celle-ci peut-elle se résumer à un simple entretien téléphonique ? Nécessite-t-elle systématiquement au moins la possibilité de voir le patient via une Webcam ? L’envoi de documents photographiques par le patient et avec quelle qualité d’image ? Derrière la question de la téléconsultation se pose celle de l’accès des patients à des moyens de communication adéquats et de leur maîtrise de ces outils », poursuit l’auteur.

Repenser la répartition des rôles

L’introduction d’un canal à distance ne relève pas d’un simple « plug-in » : elle recompose la division du travail.

L’assistante dentaire : coache le patient pour produire des images exploitables, organise le rendez-vous et gère les flux numériques. Ces tâches nouvelles supposent formation, protocolisation et parfois un rôle élargi de coordination.

Le praticien : chef d’orchestre du parcours, il oriente, trie et coordonne avec les correspondants. La valeur ajoutée se déplace vers l’organisation plus que vers l’acte isolé.

Cette redistribution suscite des résistances. « Auprès des praticiens, les avis sont mitigés concernant l’utilisation de la téléconsultation. Des études ont mis en avant une méconnaissance de ses potentialités et de ses réglementations. En France, plus de la moitié des dentistes libéraux interrogés déclarent ne pas avoir de connaissance préalable ; la grande majorité d’entre eux n’ont pas reçu de formation et ne sont pas au courant du cadre réglementaire », souligne le Dr Nguyen. D’où l’intérêt d’un accompagnement structuré, intégrant formation continue, outils sécurisés et procédures internes.

Côté agenda, deux stratégies existent : plages dédiées en début de demi-journée, ou créneaux interstitiels pour les suivis. Mais sans règles précises, le gain attendu se mue vite en surcharge. La téléconsultation libère des rendez-vous inutiles… mais elle génère en retour une charge organisationnelle spécifique.

Redessiner les relations avec les correspondants

Au-delà des murs, la téléconsultation fluidifie le partage d’imagerie, les télé-avis avec les correspondants et la communication avec les prothésistes. Elle renforce le rôle pivot du chirurgien-dentiste dans le réseau de soins, mais exige traçabilité et sécurisation des données.

Les limites cliniques, elles, sont bien réelles. « La spécificité de la dentisterie vient de la nécessité d’un regard direct ou indirect porté à l’intérieur d’une cavité ; l’utilisation habituelle d’instruments aidant au diagnostic est impossible en téléconsultation. D’où la difficulté d’obtenir un examen complet. Cela soulève des questionnements relatifs à la perte de chance des patients, à la qualité de la prise en charge globale et à l’engagement de la responsabilité médico-légale des praticiens », prévient le jeune diplômé.

La ligne reste claire : «  Plutôt que de remplacer les soins traditionnels, la téléconsultation dentaire doit compléter les prestations de soins », conclut-il. Autrement dit, elle ne remplacera pas l’examen clinique, mais son intégration ouvre un champ d’innovation organisationnelle et technologique que les cabinets doivent anticiper dès aujourd’hui.

Téléconsultation dentaire vs télé-orthodontie

La télé-orthodontie a servi de laboratoire : avec les aligneurs, les patients envoient depuis plusieurs années des photos via des applications dédiées. Le suivi à distance, intégré aux protocoles, a prouvé sa faisabilité et son acceptabilité. Pour l’omnipratique, la logique diffère : la téléconsultation s’oriente vers le tri et le suivi ponctuel plus que vers un monitoring continu.

Rémy Pascal