Planifier son traitement implantaire

L’implantologie orale est une discipline qui gagne en popularité mais qui implique des contraintes. La partie chirurgicale impose d’anticiper les pièges anatomiques, alors que la partie prothétique impose une prévision du résultat final. Le mot clé est la planification, comme disent les anglo-saxons : « Failing to plan, is planning to fail » (Échouer la planification, c’est planifier l’échec).

Qu’est-ce que la planification implantaire ?

Une définition de la planification implantaire serait l’organisation du traitement implantaire selon un plan. À l’instar de l’architecte, le professionnel de santé dentaire va définir les étapes, le matériel et les méthodes pour aboutir à un résultat final satisfaisant. Rappelons-le, la finalité n’est pas de poser un implant dentaire mais de réhabiliter la fonction et l’esthétique d’une dent absente ou à extraire.

En effet, placer un implant n’a aucun sens si sa position tri-dimensionnelle contre-indique une restauration prothétique. Le praticien devra donc analyser la situation clinique pour déterminer : le nombre d’implants, les dimensions, la position, l’axe, la nécessité ou non d’aménager les tissus environnants (os, gencive mais aussi dents adjacentes) mais également le type de restauration prothétique (fixe ou amovible, unitaire ou plurale, solidarisée ou non, avec ou sans fausse gencive), etc.

Quel est l’intérêt d’une planification implantaire ?

L’intérêt de la planification implantaire a été évoqué en introduction : éviter les erreurs. Celles-ci peuvent être simples comme un implant ostéo-intégré mais inexploitable, ou conséquentes comme une migration implantaire 1. Elles peuvent être immédiates comme une position inadaptée, ou médiates comme un support péri-implantaire qui s’affaiblit avec le temps. Les erreurs peuvent aussi concerner la partie prothétique, par exemple un porte-à-faux distal ou une solidarisation de la prothèse avec une dent naturelle.

L’intérêt de la planification implantaire c’est aussi le succès : biologique, fonctionnel et esthétique. Le succès biologique c’est maintenir les tissus péri-implantaires en quantité et en qualité suffisante, notamment le maintien de l’os autour de l’implant mais également entre un implant et une dent naturelle ou un autre implant. Le succès fonctionnel peut être planifié avec le choix de la restauration prothétique. Avant même que la chirurgie soit initiée, il faut déterminer si l’espace prothétique est suffisant pour placer une prothèse fonctionnelle. Enfin, le succès esthétique est à portée de main avec les outils numériques comme le DSD (Digital Smile Design) qui autorisent le praticien à dessiner le futur résultat clinique.

Quel matériel pour planifier son traitement implantaire ?

Pour prévoir le futur, il faut analyser le présent. Cela signifie récolter les données pour reconstituer la situation clinique à différents niveaux : les os, les tissus mous et les dents. La littérature parle de cloner le patient.

Pour cela, le praticien doit collecter les données radiologiques pour reconstituer le volume osseux dans les trois sens de l’espace. À ce jour, le CBCT présente le meilleur rapport bénéfice/risque comparativement à la panoramique ou au scanner 2. Concernant les tissus mous, le chirurgien-dentiste aura le choix entre les techniques analogiques (empreinte physico-chimique et modèle en plâtre 3 ou numériques (empreinte optique et modèle imprimé) 4. Ainsi, il obtient une reconstitution en 3D des tissus mous et des dents. Enfin, il est intéressant d’intégrer le visage du patient avec le scanner facial et la cinématique mandibulaire, notamment pour les reconstitutions plurales et/ou esthétiques 5. Avec toutes ces données, il est possible de dupliquer le patient pour mieux l’analyser et mieux communiquer avec lui 6.

Quelles sont les étapes de la planification ?

Tout d’abord, la prothèse est planifiée avec par exemple un wax-up analogique ou numérique (Fig.1). Le but est de constater si les conditions locales sont suffisantes ou si un aménagement est nécessaire pour éviter une prothèse aux dimensions dysharmonieuses ou une position inadaptée (Fig.2 et 3). Dans les reconstitutions esthétiques, le praticien gagnera à réaliser une simulation intégrant le visage du patient en 2D à partir d’une photo ou en 3D à partir d’un scan facial (Fig.4).

planification implantaire

Fig.1 : Modèles imprimés en 3D : 26 absente (gauche) et wax-up en forme de prémolaire (droite).

planifier traitement implantaire

Fig.2 : Défaut vertical (haut), prothèse sans et avec reconstruction ostéo-muqueuse (milieu et bas).

planifier traitement implantaire

Fig.3 : Défaut horizontal (gauche), prothèse sans et avec reconstruction ostéo-muqueuse (milieu et droite).

planifier traitement implantaire

Fig.4 : Scan facial pour l’édentement de 21.

Pour la planification chirurgicale, la future prothèse définira la zone d’émergence implantaire qu’il faudra concilier avec l’anatomie (Fig.5). Les logiciels de planification chirurgicale possèdent une vaste bibliothèque pour sélectionner l’implant le plus adapté (Fig.6). De nouveau, le chirurgien pourra constater si le support péri-implantaire impose ou non une régénération tissulaire.

Planifier la chirurgie est une chose, la rendre possible en est une autre. Certains chirurgiens expérimentés sont capables de poser parfaitement leur implant à main levée. Pour les autres, il est intéressant de faire appel à la chirurgie guidée (Fig.7). Qu’elle soit statique ou dynamique, elle permet de transposer la planification du virtuel au réel 7.

planification traitement implantaire

Fig.5 : Détermination de l’émergence implantaire de 12 par fusion du modèle préopératoire et du wax-up.

planification implant

Fig.6 : Planification d’un implant en position de 43.

planifier traitement implantaire

Fig.7 : Guide implantaire imprimé en 3D.

Comment financer la planification implantaire ?

Planifier son traitement implantaire nécessite des compétences intellectuelles et des ressources matérielles. Les honoraires devraient être valorisés soit dans un devis à part soit intégrés aux honoraires de la chirurgie et/ou la prothèse. La CCAM définit explicitement des codes pour la planification implantaire (Fig.8) et la CPAM édicte explicitement l’absence de prise en charge du bilan implantaire, y compris les radios en 2D comme la panoramique (HBQK002). En attendant le remboursement des implants dentaires à la suite de l’avis favorable de la HAS 8, il appartient au praticien de fixer ses honoraires avec tact et mesure en déterminant le temps passé et le financement du matériel. De cette façon, une planification prothétique avec le DSD basée sur une photo en 2D n’a pas la même valeur qu’un scan facial réalisé en 3D. Cette valeur n’est pas que financière, elle concerne également l’adhésion du patient 6. À vous de juger la valeur.

planifier traitement implantaire

Fig.8 : Nomenclature des actes applicables dans une planification implantaire.

Quelles sont les limites de la planification implantaire ?

La planification est parfois perçue comme un processus rébarbatif avec des étapes chronophages, souvent coûteuses. Ce faisant, la planification prothétique est souvent éludée, notamment pour une molaire mandibulaire unitaire. Par contre, un implant en secteur incisif mal positionné aura des conséquences désastreuses. Devrions-nous systématiquement réaliser un wax-up pour chaque cas implantaire ? À vous de répondre à cette question selon le ratio bénéfice/risque.

Certains praticiens passent rapidement à la planification chirurgicale, notamment pour dénicher les pièges anatomiques ou définir les dimensions du futur implant. Néanmoins, le CBCT ne vous préviendra pas de la nécessité de reconstruire un volume. Il se peut que l’os résiduel soit suffisant en quantité et en qualité pour le futur implant. Cependant la perte osseuse post-extractionnelle peut être telle qu’un défaut vertical et/ou horizontal compromette la future prothèse (Fig.2 et 3).

Planifier son traitement implantaire n’empêche pas les déconvenues peropératoires. Un comblement osseux fibrosé ou une perforation de la membrane sinusienne sont des difficultés imprévisibles. Il revient au chirurgien de ne pas suivre aveuglément la planification car elle n’est pas irréprochable.

Quelles sont les incidences en termes de droit médical ?

La partie chirurgicale et la partie prothétique du traitement implantaire sont parfois accomplies par deux praticiens différents qui verront leur responsabilité partagée ou non 9. Quand la vie est un long fleuve tranquille, les parties s’entendent. Quand une difficulté survient, les responsabilités tourbillonnent. En cas de litige, l’assurance responsabilité civile et professionnelle et/ou la justice saisie par le patient vont dépêcher un expert pour analyser le cas. La complétude du dossier médical est déterminante et la preuve d’une planification implantaire sera décisive. En effet, les sinistres en implantologie révèlent entre autres : des insuffisances de conception, des erreurs d’axe et de positionnement, une inadaptation prothétique sur l’implant 10. Gardez précieusement le dossier médical car la responsabilité du professionnel de santé peut être recherchée sur 10 ans à compter de la consolidation du dommage 11. À bon entendeur…

Conclusion

La planification implantaire ne se limite pas à lire le cone beam. En termes de succès thérapeutique et de responsabilité médicale, le dentiste doit planifier au mieux son projet implantaire. Heureusement, les outils numériques permettent de simuler la chirurgie et la prothèse avec précision. Planifier un traitement implantaire devient élémentaire comme planifier un trajet en voiture : vitesse, trajectoire et destination. Vous êtes arrivés au succès thérapeutique !

Références 

1 : www.bit.ly/2Ujk5EJ

2 : dentaire365.fr/praticien/orthodontiste/equipement-orthodontiste/choisir-son-cone-beam-selon-son-activite

3 : dentaire365.fr/chirurgien-dentiste/equipement/materiaux-et-equipementsdempreinte-conventionnelle

4 : dentaire365.fr/chirurgien-dentiste/grand-angle-2/integration-des-scannersintraoraux-dans-le-fluxde-travail-numerique

5 : Optimiser le flux numérique de travail en prothèse implantaire, Solutions Cabinet Dentaire, n° 65, 10/2024, pp32-35.

6 : Renforcer l’adhésion aux traitements grâce au numérique, Solutions Cabinet Dentaire, n° 62, 04-05/2024, pp28-31

7 : dentaire365.fr/clinique/implantologie/planification-implantaire-associee-au-guide-chirurgical

8 : dentaire365.fr/actualites/vie-de-la-profession/remboursement-implants-dentaires-has

9 : macsf.fr/responsabilite-professionnelle/analyse-de-decisions/le-responsabilite-en-implantologie

10 : information-dentaire.fr/actualites/stabilite-du-taux-de-sinistralite-en-odontologie-pour-2023-65

11 : Article L.1142-28 du code de la santé publique.

 

Trois questions à…

Dr Benjamin Droz-Bartholet

Dr Benjamin Droz-Bartholet

Quelles sont les erreurs principales en planification implantaire ?

Une des principales erreurs en planification implantaire est de positionner l’implant en tenant uniquement compte de l’anatomie locale, sans tenir compte de la prothèse envisagée. Ceci peut engendrer des compromis prothétiques et des désastres parodontaux pouvant nécessiter la dépose de l’implant. D’autres erreurs sont liées au non-respect des distances qui séparent un implant d’une dent ou d’un autre implant. Elles entraînent irrémédiablement une souffrance biologique avec une dégradation des tissus péri-implantaires. Les erreurs liées au non-respect des structures anatomiques de référence tel que le nerf alvéolaire inférieur ou les sinus maxillaires, s’apparentent davantage à une erreur chirurgicale, sinon à une méconnaissance.

Comment éviter les erreurs de planification ?

Le plus simple est de respecter un protocole en trois points. En premier lieu : la modélisation de la prothèse idéale et son positionnement pour assurer la fonction et l’esthétique. Le second point est le positionnement de l’implant selon la prothèse idéale. Enfin, trois possibilités peuvent être évoquées. Tout d’abord, le positionnement de l’implant est compatible avec l’anatomie locale : la planification est terminée. Sinon, la planification nécessite une modification, biologiquement viable, du positionnement de l’implant afin d’être compatible avec l’anatomie locale. Par exemple, l’enfouissement de l’implant et la position du col implantaire selon le biotype gingival et les dents adjacentes. Enfin, la planification peut nécessiter un aménagement osseux et/ou muqueux pour permettre la pérennité du traitement implantaire et/ou l’intégrité des structures anatomiques de référence (nerf alvéolaire inférieur, sinus). À cette étape, il peut être décidé de surseoir à l’intervention et/ou d’adresser son patient à un spécialiste.

Comment gérer une difficulté malgré la planification implantaire ?

Selon la difficulté, il peut être décidé de reporter l’implantation. Dans la plupart des cas heureusement, les difficultés chirurgicales peuvent être gérées sans compromettre la pose de l’implant. Même lors d’une perforation de la membrane de Schneider, plusieurs protocoles décrivent comment la gérer pendant le même temps chirurgical sans remettre en question l’implantation. Il est primordial d’intégrer mentalement le volume et l’anatomie précises du site chirurgical issus des reconstructions tomodensitométriques. Ainsi, une prise de décision rapide et consciencieuse permettra la meilleure prise en charge d’une difficulté chirurgicale. Il faut prendre la vie du bon côté, une hémorragie peropératoire nourrit aussi le site implantaire !