Évaluer le degré de sévérité de la lésion carieuse

Pour la présidente de l’UFSBD, Sophie Dartevelle, l’évaluation du risque carieux va « permettre de déterminer le niveau de prise en charge préventive ». Un diagnostic facilité par un guide pratique utilisable au fauteuil par les chirurgiens-dentistes.

Par Agnès Taupin, publié le 13 novembre 2018

Évaluer le degré de sévérité de la lésion carieuse

Vous avez travaillé, en tant qu’expert nommé par la Fédération dentaire internationale, dans le cadre d’un partenariat sur la prévention de la carie avec Colgate, à la conception d’un guide pratique utilisable au fauteuil. En quoi ce guide réévalue et redéfinit l’approche de la carie dentaire ?

Dr Sophie Dartevelle : Ce guide s’appuie sur le livre blanc réalisé, également dans le cadre de ce partenariat, par le Pr Nigel Pitts (King’s College) et le Pr Domenick Zero (université d’Indiana). L’objectif de ce guide est de permettre aux chirurgiens-dentistes d’appréhender le concept de continuum de la carie et de leur donner les moyens de réduire l’impact de son développement en intervenant le plus tôt possible, afin de limiter la destruction tissulaire et d’inverser le processus carieux en faveur de la reminéralisation. La gestion des lésions précoces de la carie passant, idéalement, par l’approche la moins invasive possible pour prévenir la progression de la maladie, et par l’incitation des patients à prendre en charge l’amélioration de leur propre santé bucco-dentaire. La prévention de la maladie carieuse ne doit pas être la préoccupation des seuls chirurgiens-dentistes. Il est important de motiver nos patients pour qu’ils deviennent de vrais acteurs de leur santé.
Le guide est un document recto-verso, destiné à être utilisé par le chirurgien-dentiste, directement au fauteuil. Le recto, théorique, propose un résumé des différents points du nouveau concept de management de la carie, à savoir l’évaluation du degré de sévérité de la lésion carieuse, l’évaluation de son activité et l’influence du risque carieux du patient. Le verso, très pratico-pratique, va permettre de déterminer le risque carieux du patient et de lui proposer, en fonction de son âge, des actes de prévention primaire et secondaire adaptés dans le cadre de la maintenance professionnelle au fauteuil et de l’éducation du patient lui-même.

Comment le praticien peut-il évaluer le risque carieux ?

L’évaluation du risque carieux va permettre de déterminer le niveau de prise en charge préventive. Le praticien doit prendre en compte plusieurs facteurs. Ainsi, si l’on se réfère à l’expérience carieuse, un patient est dit à risque carieux élevé s’il a présenté au moins trois caries naissantes ou cavitaires primaires ou secondaires au cours des deux dernières années. Il est dit à risque carieux modéré, s’il a présenté une ou deux caries naissantes ou cavitaires primaires ou secondaires au cours des deux dernières années. Et il est dit à risque faible s’il n’a présenté aucune de ces atteintes pendant les deux dernières années, ni modification des facteurs de risque pouvant induire des caries.
Mais, idéalement, nous devrions être en capacité d’identifier les patients à risque avant une première expérience carieuse. D’autres facteurs doivent évidemment être pris en compte pour cela. Ce sont des facteurs de risque individuels liés aux comportements du patient, à son milieu familial, son état de santé, son âge. Nous devons envisager, par exemple, le contexte socio-économique du patient, la fréquence de consommation d’aliments sucrés (y compris les sucres cachés), les facteurs de risque familial, le flux et le pH salivaire, l’hygiène bucco-dentaire, l’apport de fluor en termes de dosage et de quantité, les antécédents médicaux, les traitements médicamenteux… Le document propose différents items auxquels le chirurgien-dentiste pourra se référer aisément.

Ce guide propose une évaluation de la carie, selon qu’elle est active ou inactive. Quelles préconisations donne-t-il ?

La détection des caries et l’évaluation de leur activité sont effectivement des points essentiels de leur prise en charge. Notre défi est de différencier une lésion active évolutive marquée par un processus continu de déminéralisation par opposition à une lésion de gravité similaire qui a été stoppée, est devenue inactive et qui est alors dite arrêtée ou en phase de reminéralisation. La classification ICDAS en six stades peut être mise en corrélation avec des attitudes thérapeutiques qui considèrent la carie comme un continuum. Ainsi, au stade 0, il n’y a pas d’atteinte visible, et l’on met en œuvre des mesures de prévention primaire qui vont maintenir la dent en bonne santé. Pour les stades 1 à 4, on envisagera une approche non chirurgicale dite de prévention secondaire. La carie a progressé jusqu’à un stade cliniquement détectable (lésion non cavitaire, tache blanche) mais pas encore jusqu’aux stades 5 et 6 de lésion cavitaire qui requièrent une approche chirurgicale c’est-à-dire de prévention tertiaire.
Notre objectif doit être de réduire l’impact des caries le plus tôt possible en prévenant l’évolution de la déminéralisation et en tentant d’inverser le processus carieux en faveur de la reminéralisation. La mise en place d’un traitement non chirurgical comme l’application de vernis fluoré, la réalisation de scellements de sillons, le contrôle du biofilm, va inverser ou arrêter la progression de la carie. La limite entre prévention primaire et secondaire n’est pas toujours évidente. Certaines dents qui paraissent saines peuvent être atteintes de caries actives non visibles cliniquement, peuvent continuer à évoluer si l’on ne met pas en place des mesures préventives, jusqu’à devenir visibles cliniquement. Nous interviendrons donc souvent de la même façon en prévention primaire et secondaire. De même, la limite entre prévention secondaire et approche chirurgicale n’est pas toujours très franche. Le choix entre approche chirurgicale et non chirurgicale sera alors fonction du risque carieux individuel du patient.

Il aborde également le sujet du respect de l’intégrité tissulaire. À cet égard, quels sont les traitements à privilégier ?

Le nettoyage professionnel des dents, avec élimination si nécessaire des zones de rétention de la plaque est en quelque sorte un prérequis notamment si le patient n’est pas en capacité de prendre en charge son hygiène bucco-dentaire de façon optimale. L’apport en fluor par le dentifrice, les vernis, les gels ont un effet bénéfique important en termes de diminution de la progression des lésions carieuses non cavitaires.
Le scellement de lésions carieuses non cavitaires sur les dents permanentes a également un impact dans la réduction de la progression carieuse. Une étude a même montré que la carie ne progresse pas pendant une dizaine d’années sous un scellement de sillons placé sur une lésion cavitaire peu profonde. Une autre stratégie micro-invasive est l’infiltration de résine. Efficace pour arrêter la progression des caries non cavitaires, elle présente toutefois l’inconvénient d’éliminer la couche superficielle de l’émail.
Ces propositions de traitement doivent toujours être adaptées à l’âge du patient et à son risque carieux individuel. Il sera toujours recommandé, pour les lésions nécessitant une restauration, de préserver au maximum le tissu dentaire et de s’assurer qu’une application topique de fluor est réalisée après la mise en place de la restauration. De même, on recommandera de sceller ou réparer les restaurations défectueuses, et de ne les remplacer qu’en cas de nécessité.

Quels conseils donne ce document pour l’éducation du patient ?

Pour ce qui concerne l’éducation du patient, le document reste axé sur les recommandations en matière d’hygiène bucco-dentaire mais le chirurgien-dentiste devra aussi inclure les conseils liés aux autres facteurs de risque de son patient. Ainsi, le document rappelle les recommandations de base telles qu’exprimées dans les recommandations de l’UFSBD, insiste sur l’importance du nettoyage des espaces interdentaires et rappelle que le brossage des enfants doit être supervisé par les parents jusqu’à ce que l’enfant ait gagné en autonomie.
Un point fondamental est abordé dans ce guide : celui du dosage en fluor et de la quantité recommandée aux différents âges de la vie. Les recommandations proposées reprennent les recommandations de l’OMS et de la FDI. Nous voyons bien là que les recommandations françaises en matière de teneur en fluor dans les dentifrices ne sont plus du tout d’actualité, et qu’il y a urgence à les faire évoluer, si l’on veut faire bénéficier la population française de toutes ces avancées en termes de gestion de la carie. C’est un des objectifs que l’UFSBD s’est assigné ! Et parce que l’éducation de nos patients passe aussi par leur intégration dans un parcours santé tout au long de leur vie, le guide donne également des indications sur la périodicité optimale des rendez-vous de contrôle et de maintenance à prévoir en fonction du profil du patient et de son âge.

Propos recueillis par Agnès Taupin