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Pourquoi les hommes n'ont plus de longues canines comme les gorilles?

Alors que les mâles chimpanzés et gorilles ont des canines bien plus longues que celles des femelles, celles des hommes auraient commencé à s'émousser il y a environ 4,5 millions d'années. Soit à l'apparition de la bipédie.

Par Raphaëlle de Tappie, publié le 03 décembre 2021

Pourquoi les hommes n’ont plus de longues canines comme les gorilles?

Chez nos cousins les singes, l’une des principales différences avec l’humain est la différence de la taille des canines. Les mâles chimpanzés et gorilles ont des canines bien plus longues que les femelles, ce qui pourrait être représentatif d’un niveau élevé de compétition et donc de violence et d’agressivité. L’humain et le chimpanzé ayant divergé il y a 7 millions d’années, le changement des dents a sans doute eu lieu durant ce laps de temps. Toutefois, les fossiles datant de plusieurs millions d’années ne contenant pas d’ADN pouvant être séquencés pour y détecter des chromosomes sexuels, il était difficile jusqu’ici d’en savoir plus. Aujourd’hui, toutefois, une étude parue ce mois-ci dans la revue PNAS, révèle que les canines masculines auraient commencé à s’émousser il y a environ 4,5 millions d’années. Soit très tôt dans l’évolution, à l’apparition de la bipédie.

« Le dimorphisme de taille corporelle et canine dans les fossiles alimente les hypothèses socio-comportementales sur l’évolution humaine et suscite un intérêt depuis les célèbres réflexions de Darwin sur le sujet. Ici, nous rassemblons un grand ensemble de données de canines fossiles du clade humain, y compris tous les fossiles disponibles d’Ardipithecus ramidus récupérés dans les zones de recherche du Moyen Awash et de Gona en Éthiopie, et nous examinons systématiquement le dimorphisme canin au cours de l’évolution », notent le paléontologue Gen Suwa, de l’université de Tokyo, et son équipe dans leur papier.  

Ardipithecus ramidus est une espèce éteinte ayant appartenu à la famille des hominidés, de la sous-tribu des hominines, la lignée humaine. Il vivait en Afrique de l’Est au Pliocène inférieur, il y a 4,4 millions d’années.

Une baisse d’agressivité motivée par les femelles

Pour leur étude, les chercheurs ont analysé plus de 300 dents fossiles couvrant 6 millions d’années d’évolution des homininés. « En utilisant une méthode basée sur les probabilités que nous avons récemment développée, nous avons estimé le dimorphisme de la taille des canines chez Ardipithecus ramidus, vieux d’environ 4,5 millions d’années, et avons constaté qu’il était faible et comparable à celui des humains modernes. Notre analyse (…) montre que la réduction de la taille des canines masculines est survenue tôt dans l’évolution humaine, coïncidant largement avec l’adoption de la bipédie » , écrivent-ils. 

Cette découverte suggère un changement socio-comportemental profond dans l’évolution ayant minimisé l’agressivité entre mâles. Ce changement aurait « très probablement » été encouragé par les femelles.

En effet, la bipédie a obligé les femelles ardipithèques et australopithèques à porter leurs enfants dans leurs bras et non plus sur leurs dos. Ce handicap aurait conduit à l’externalisation des ressources alimentaires auprès d’un mâle et donc à la diminution de la polygamie. « De plus petites canines peuvent évoluer si les femelles préfèrent s’accoupler avec des mâles qui sont moins enclins à l’agression”, explique Gen Suwa au New Scientist.

« Un profond changement de comportement »

« Ce schéma évolutif indique un profond changement de comportement associé à des niveaux comparativement faibles d’agressivité masculine au début de l’évolution humaine, un schéma qui a ensuite été partagé par les Australopithèques et les Homo », concluent les chercheurs dans PNAS.

Aujourd’hui encore, chez les primates, la taille des canines mâles est un indicateur de leur agressivité. Le bonobo ou le singe araignée laineux ont par exemple des canines relativement plus petites et ce sont des espèces socialement caractérisées par des relations beaucoup plus tolérantes entre mâles et une co-dominance mâle-femelle.