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Alice Modolo : championne et dentiste

Première française à -100 m, l’apnéiste a pour le moment mis de côté sa carrière de praticienne pour se consacrer à son sport. En quête d’une nouvelle performance, elle explique comment elle a pu décrocher son record et atteindre son rêve.

Propos recueillis par Agnès Taupin, publié le 09 février 2022

Alice Modolo : championne et dentiste

En juillet 2021, vous avez été la première Française à atteindre les 100 mètres de profondeur en poids constant monopalme. Quelle a été la clé de ce record  ?

Alice Modolo : 100 mètres, c’est un rêve qui m’est venu en 2012, à la sortie d’une plongée. En fait, je ne m’attendais pas à réaliser ce rêve. C’était improbable car, à cette époque, seulement une poignée d’hommes arrivaient à réaliser cette performance. C’était un peu trop audacieux pour ceux qui m’entouraient sur le bateau, à ce moment-là, et qui se sont mis à rire et m’ont dit : essaie d’abord de faire 80 mètres et on en reparlera. J’ai arrêté l’apnée pendant quatre ans et je me suis dit que c’était une lubie, un rêve fou qui n’allait pas se réaliser. Mais la vie s’est chargée de me mettre des obstacles pour me montrer que peut-être c’était ce que je devais tenter. L’apnée, ce n’est pas une discipline dans laquelle je suis plongée depuis toute petite puisque je suis auvergnate. Lorsque j’ai arrêté mon métier de chirurgien-dentiste, il y a trois ans, pour me consacrer totalement à mon sport, j’ai pu réaliser mon rêve. Ce record a été un électrochoc : ce qui paraissait invraisemblable est devenu réel. Après avoir atteint un rêve comme celui-là, on se pose la question de savoir ce que l’on fait après. Cela a été le point final d’un roman qui a été un peu douloureux, où je me posais des questions existentielles. Ce record symbolisait pour moi une nouvelle vie. À présent, j’ai l’impression de découvrir la vie que je me suis créée et pas celle que l’on a voulu pour moi, par les pressions sociales, familiales. C’est vraiment une renaissance. 

Qu’est-ce qui vous a porté pour réaliser ce record ?

Alice Modolo : J’ai pu le réaliser en écoutant mes ressentis et en suivant mon instinct. Cela m’a fait prendre des chemins extrêmement compliqués. Après avoir passé le concours de médecine, fait des formations en implantologie et s’être spécialisé en pédodontie, tout lâcher du jour au lendemain, c’est vertigineux. Tout le monde vous dit : qu’est-ce qui te prend, de quoi vas-tu vivre, tu ne peux mettre de côté cette vie. Suivre ses ressentis, c’est décevoir des personnes, ne plus rentrer dans les codes, sortir de sa zone de confort. C’est confortable d’avoir un métier où l’on gagne bien sa vie, où tout est cadré. 

Lorsque l’on décide de s’engager totalement dans un sport qui n’est pas reconnu, un sport extrême où l’on risque potentiellement sa vie, c’est un choix qui peut paraître fou. Ce n’est pas facile d’écouter ses ressentis lorsque dans une société on vous met dans un moule et on vous interdit quelque peu de vous épanouir. Dans ma discipline, j’ai pris le parti de ne pas suivre tout ce que mes pairs essayaient de m’enseigner. J’ai voulu y arriver à ma manière. L’apnée est une discipline qui est peu connue et développée. Dans un sport plus cadré, je ne me serais sans doute pas permis de prendre ces libertés. 

“Mon métier m’a beaucoup servi en tant qu’athlète, cela a été un atout colossal. Il m’a construite et à tout moment je peux y revenir.” 

Vous pensez maintenant à d’autres performances ?

Alice Modolo : L’apnée est une discipline où l’on est face à soi-même, face à la pire des adversités car on se prive d’une fonction vitale. Si on ne le sent pas, on ne peut y aller : notre corps nous arrête car il est là pour nous protéger. Tout se joue sur le mental : on peut être très bien la veille, et le lendemain perdre complètement le flow. Je pense que mon travail de chirurgien-dentiste m’a protégé du surentraînement, m’a permis de comprendre que je pouvais y arriver par l’efficacité. J’avais moins de temps pour m’entraîner et pourtant j’ai fait la différence parce que j’ai pris un chemin complètement autre. Mon métier m’a beaucoup servi en tant qu’athlète, cela a été un atout colossal. Il m’a construite et à tout moment je peux y revenir.

Je vais intégrer la préparation physique dans mon entraînement, ce que je n’avais pas fait jusqu’à présent car je m’étais focalisée sur le mental, la respiration. Dans ce sport, on doit se débrancher, être flexible et développer un corps d’athlète est une notion que j’avais du mal à intégrer. Quand on arrive à 100 mètres, il faut remonter ensuite, et c’est très physique. Je ne donne aucune limite à mes prochains objectifs. Alenka Artnik a réussi à descendre à 122 mètres, c’est forcément un objectif que j’ai en tête. Avant, je me considérais un peu comme une pionnière, mais aujourd’hui je suis plus confiante. Je me laisse deux ans pour me préparer sur le plan physique. Ma ligne de conduite est de ne pas brûler les étapes. Ma quête n’est pas d’être première coûte que coûte, je veux faire évoluer ma discipline et par elle me connaître davantage. 

“La dentiste est la même que celle qui plonge et inversement.”

Alice Modolo : Quand on est chirurgien-dentiste, on fait face à des situations difficiles : la douleur, la peur d’avoir mal. Lorsque je dois plonger sans respirer toute seule dans le noir, c’est la même chose. Je me suis donc dit que j’allais utiliser les mêmes méthodes sur lesquelles je m’appuie pour mes jeunes patients. J’ai constaté que cela marchait et que les enfants avaient un potentiel incroyable. Ils auraient pu vivre de manière douloureuse un acte médical, mais ils l’affrontent avec beaucoup de courage et sans problèmes. Je me suis amusée à faire le parallèle entre les deux disciplines qui se faisaient écho. La dentiste est la même que celle qui plonge et inversement. 

Championne et dentiste
© Daan Verhoeven.

Comment gérez-vous le stress, la veille d’une performance ?

Alice Modolo : On est souvent prisonnier de nos émotions. Mon préparateur mental m’a appris un chose : si l’on veut se libérer d’une émotion, il faut la vivre. Au lieu de faire comme si mon stress ne m’atteignait pas, je l’accepte. Le stress peut être positif. Le fait de se rassurer soi-même, de se dire que c’est normal, cela enlève une pression énorme. Il ne faut donc pas fuir, mais affronter le stress. 

Quels conseils donneriez-vous à vos confrères pour la gestion de leur cabinet dentaire au quotidien ?

Alice Modolo : Il y a de nombreux petits moments où l’on peut se recentrer sur soi, sur sa respiration, lors de certains actes. Le conseil que je donnerais c’est de s’accorder des moments de pose. Chirurgien-dentiste est un métier stressant car dans l’esprit du commun des mortels nous sommes vus comme des personnes pouvant faire mal. D’autre part, on fait face à des actes techniques compliqués, à des agendas surchargés. C’est éreintant. J’ai compris l’importance du souffle, à quel point on le minimisait et qu’il était à la portée de tous. Le conseil que je donnerais à mes confrères est de respirer, de se recentrer sur soi. 

Quand on écoute son instinct et que l’on suit ce que l’on aime, on est capable de faire beaucoup car on remplit sa vie de choses positives, qui nous donnent de l’énergie plutôt qu’elles nous épuisent. Sinon, notre vie se remplit de choses qui ne nous conviennent pas et c’est là où on peut perdre les pédales. J’encourage les dentistes à développer d’autres activités à côté et à s’épanouir. Le sport fait partie des activités qui permettent de se recentrer sur soi.

Questionnaire de Proust

Où aimeriez-vous vivre ?

Dans la nature. On ne soupçonne pas les bienfaits qu’elle peut nous procurer. 

Le son que vous préférez ?

Mon souffle.

Le mot que vous détestez ?

Impossible.

La qualité que vous préférez chez les autres ?

La bienveillance.