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Deux-Sèvres : l'histoire lunaire d'une dentiste étrangère empêchée d'exercer

Alors que le département des Deux-Sèvres manque cruellement de dentistes, Carly Barroso, une Vénézuélienne mariée à un Français et détentrice d'un diplôme de dentiste européen, se voit interdite d'exercice depuis des années...

Par Raphaëlle de Tappie, publié le 23 août 2022

Deux-Sèvres : l’histoire lunaire d’une dentiste étrangère empêchée d’exercer

Une histoire kafkaïenne. Alors que la France souffre d’une pénurie de chirurgiens-dentistes, des praticiens diplômés ne peuvent pas travailler. Début août, La Nouvelle république relatait l’histoire hallucinante de Carly Barroso, une Vénézuélienne mariée à un Français et vivant dans les Deux-Sèvres (Nouvelle-Aquitaine), détentrice d’un diplôme de chirurgien-dentiste européen et dans l’interdiction d’exercer depuis des années…

Carly obtient son diplôme de chirurgien-dentiste au Venezuela après neuf ans d’étude. Elle y rencontre un Français dont elle tombe amoureuse. Le couple se marie et quitte le pays en 2011 pour s’installer en France, dans les Deux-Sèvres. La quadragénaire demande alors la reconnaissance de son diplôme vénézuélien.  « J’ai demandé une homologation de mon diplôme en Espagne car il y a des accords bilatéraux en raison de l’histoire, de la langue… », raconte-elle à La Nouvelle République. Quelques mois plus tard, elle reçoit son homologation espagnole, « donc européenne ». Elle-même se dit « surprise de l’avoir aussi rapidement ». La praticienne pense alors pouvoir exercer en France. Mais non. « Le centre national de gestion, bras droit du ministère de la Santé, refuse en prétextant mon défaut de nationalité française », explique celle qui doit attendre 2015 pour devenir Française, soit cinq ans après son mariage.

Carly Barroso en profite pour obtenir plusieurs certificats d’études supérieures à la faculté de Nantes. « Le dernier en endodontie réparatrice en 2016, je côtoyais des professionnels français, j’étais un des leurs. » La nationalité française en poche, elle réitère sa demande. Cinq ans s’écoulent. Et un nouveau refus tombe. En cause cette fois : son manque « d’exercice récent ». Or, « la clause de l’exercice récent de la profession n’était pas requise au regard de la législation en vigueur ».

 

Les « petits contrats » qui s’enchaînent

 

S’entame alors un long combat judiciaire, qui a encore cours à ce jour. Désespérée, Carly essaye même de recourir à une mesure compensatoire, un stage d’adaptation dans un centre hospitalier agréé. Mais non. « Je me suis vue opposer un refus systématique des différents centres hospitaliers agréés pour me recevoir pour des problèmes de budget. Les stagiaires doivent être rémunérés et avec les charges, c’était environ 40 000 €. J’étais prête à le faire gratuitement, à titre bénévole, mais ce n’était pas possible ! », explique la praticienne qui a tout de même réussi à travailler pendant toutes ces années grâce à des « petits contrats ». Pour pouvoir continuer à pratiquer dans les cabinets dentaires, elle assiste aujourd’hui les dentistes. Et constate donc avec frustration la détresse de tous ces patients qui doivent attendre des mois avant qu’on les reçoive.

« Et moi, je ne peux pas exercer, ça me révolte, parce que je veux aider, soigner et ici dans les Deux-Sèvres parce qu’il n’y a pas assez de dentistes. En plus, je pourrais payer des impôts, je serais contribuable. Je suis autorisée à exercer en Espagne mais pas ici alors que la France, c’est mon pays d’adoption, mon deuxième pays. Je partage toutes les valeurs de la France, je ne comprends pas, je voudrais être utile pour la France. » En attendant que la situation ne se débloque, faute d’un salaire digne de ce nom, Carly vit avec son époux et ses deux enfants dans un logement HLM.

Pour rappel, dans les Deux-Sèvres, on ne compte que 134 dentistes, soit 3,5 pour 10 000 habitants. « Rien que pour être dans la moyenne régionale, il en faudrait 67 de plus dans le département », s’exclame Jean Desmaison, président des CDF dans les Deux-Sèvres auprès de La Nouvelle République. Et d’assurer que le syndicat soutient « largement » Carly qu’il connait bien, ainsi que le Conseil de l’Ordre. « Tout le monde est prêt à la prendre. Beaucoup de confrères cherchent », se désespère-t-il.