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Entretien avec Roland Zeitoun

Jeudi 2 avril prochain, la deuxième journée des assistantes se déroulera à Paris à l’initiative de l’UFAD*. L’occasion pour Indépendentaire de donner la parole à l’un de leurs plus fervents défenseurs, le Dr Roland Zeitoun. Le Dr Roland Zeitoun fait autorité dans le domaine de l’hygiène et de l’asepsie. Il est notamment le créateur du réseau dentaire au centre de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales Paris-Nord (CCLIN) et référent au groupe d'étude et de réflexion d'exposition au sang (GERES) et président de la Société française d'hygiène en chirurgie-dentaire (SFHOS). Rencontre.

Par la rédaction, publié le 05 mars 2015

Vous avez été membre du groupe de pilotage qui a rédigé le Guide de prévention des infections liées aux soins en chirurgie dentaire et en stomatologie, est-il toujours d’actualité et que faut-il en retenir ?

 

Ce guide publié en 2006 est essentiel. Il a été suivi par un autre texte sur les procédures de contrôle, devenu Guide d’évaluation des cabinets dentaires publié en 2011. Celui-ci est plus ludique et très pratique. Ils devraient être lus, relus, parfaitement connus par tous les praticiens et toutes les assistantes. Ce sont des recommandations sur le risque infectieux, simples et faciles à lire. Le dernier rapport de l’INVS montre bien le risque de transmission dans les cabinets dentaires. De nombreuses études révèlent que le taux de prévalence du VHB est quatre fois plus élevé chez les praticiens que dans la population. Nous avons recommandé, et recommandons toujours, le port de gants, de masque, de blouse et de lunettes de protection, la prédésinfection et le nettoyage des instruments sans contact manuel, etc.

 

Comment percevez-vous la profession d’assistante dentaire ?

 

C’est une profession qui demande de la rigueur, de l’empathie et une bonne résistance. Nous sommes loin de la profession de la femme de ménage. Elles doivent exercer un rôle d’intermédiaire entre les patients et le praticien. L’assistante est là pour calmer, pour rassurer et souvent pour expliquer le traitement défini par le praticien. Ce sont elles qui transmettent le plus d’informations à nos patients… Je considère que leur rôle est essentiel pour la bonne marche du cabinet, et leur contribution à une dentisterie de qualité n’est plus à démontrer. Cela suppose qu’elles soient parfaitement formées.

 

Pensez-vous que tous les cabinets sont en mesure de s’offrir une assistante ?

 

L’apport de l’assistante au cabinet est bien supérieur à son salaire. Elle se paye amplement elle-même. Que les praticiens se mettent à calculer ce que leur coûte l’hygiène au cabinet, car, bien évidemment, nous partons du postulat que les praticiens solos respectent les procédures et recommandations… Le calcul est très vite fait !

J’ai passé presque une année, en 1983, aux États-Unis. Nos confrères américains s’amusaient des cabinets français sans assistante avec un bon sens désarmant, je les revois s’esclaffer : « Êtes-vous payés 30 € de l’heure pour spatuler ? Nettoyer ? Faire la sté ? 700 € perdus par jour ». Ce temps passé à ne pas faire de la dentisterie nous coûte et est dangereux. Il est reconnu par expérience que les praticiens font mal ce qui ne les intéresse pas, la sté par exemple… Peut-on être aussi efficace sans une assistante parfaitement formée au fauteuil ?

Reste à régler la question épineuse du management. Si l’assistante a le sentiment de recevoir de la considération pour son activité, d’être reconnue, respectée, et percevait une juste rémunération, je doute que la relation praticien/assistante soit conflictuelle. L’apport de l’assistante au cabinet est bien supérieur à son salaire. Elle se paye amplement elle-même. Que les praticiens se mettent à calculer ce que leur coûte l’hygiène au cabinet, car, bien évidemment, nous partons du postulat que les praticiens solos respectent les procédures et recommandations… Le calcul est très vite fait !

J’ai passé presque une année, en 1983, aux États-Unis. Nos confrères américains s’amusaient des cabinets français sans assistante avec un bon sens désarmant, je les revois s’esclaffer : « Êtes-vous payés 30 € de l’heure pour spatuler ? Nettoyer ? Faire la sté ? 700 € perdus par jour ». Ce temps passé à ne pas faire de la dentisterie nous coûte et est dangereux. Il est reconnu par expérience que les praticiens font mal ce qui ne les intéresse pas, la sté par exemple… Peut-on être aussi efficace sans une assistante parfaitement formée au fauteuil ? Reste à régler la question épineuse du management. Si l’assistante a le sentiment de recevoir de la considération pour son activité, d’être reconnue, respectée, et percevait une juste rémunération, je doute que la relation praticien/assistante soit conflictuelle.

J’ai eu quelques assistantes débutantes dans ma carrière. À chaque fois mon choix s’est fait sur leur désir, leur volonté d’apprendre ce métier. Outre leurs études, j’avais, et je voulais qu’elles aient à leur disposition tous les moyens pour acquérir la parfaite maîtrise du métier d’assistante. Je suivais leur formation. Par mon intermédiaire, elles ont eu la possibilité de travailler dans d’autres cabinets dont je connaissais la qualité, également en salle de chirurgie du service de maxillo-facial du professeur Géhanno. Maintenant elles ont un métier qui leur permet de choisir leur praticien.

 

Que pensez-vous du statut des assistantes dentaires ?

 

Je trouve inconcevable qu’aujourd’hui encore, malgré les demandes répétées depuis des années aux ministères, elles n’aient qu’un contrat de travail et non un contrat de santé. Si je veux aller à l’hôpital ou à une clinique pour une chirurgie sur un de mes patients, mon assistante n’a pas le droit de m’accompagner, alors qu’une infirmière qui ne connaît rien à nos protocoles peut être présente ! Leur reconnaissance comme professionnel de santé, ce qu’elles sont, est à mes yeux indispensable et serait une juste reconnaissance de leur profession. Leur formation initiale devrait inclure l’exercice à quatre mains avec les étudiants en chirurgie dentaire, pour le bien des deux d’ailleurs, une évaluation du cabinet dentaire où elles exercent durant leur étude, une formation continue structurée et pratique, et une passerelle pour d’autres métiers de santé paramédicaux. Il serait un peu dommage que leur niveau requis, qui serait alors le baccalauréat, laisse à la porte des candidates très motivées, comme cela peut être le cas actuellement…

 

Vous êtes actif au sein du Geres, pouvez-vous nous expliquer cette mission ?

 

L’objectif final du Geres est d’assurer la sécurité des professionnels de santé en réduisant le nombre des accidents d’exposition au sang et donc le risque de contamination en particulier par le VIH et le VHC. Le leitmotiv est le suivant : « Se blesser n’est pas une fatalité ». Le Geres est né et se développe pour aider les soignants à travailler sans risque. L’accent est surtout porté sur les outils de protection et leur mode d’utilisation comme, par exemple, les dispositifs qui permettent le recapuchonnage des aiguilles à une seule main, une protection accrue lors du débarrassage des DM utilisés après traitement et leur mise dans le bac de prédésinfection, les gants pour le nettoyage des surfaces, le maintien des lunettes de protection dans la salle de stérilisation pour éviter les projections intra-oculaires, etc.

 

Selon vous, le métier d’assistante dentaire rentre-t-il dans la catégorie des professions à risque ?

 

Toute pratique médicale occasionnant des contacts avec le sang est une pratique à haut risque. La profession de chirurgien-dentiste est considérée comme telle, d’autant qu’elle devient de plus en plus chirurgicale. Les assistantes exercent donc bien un métier à haut risque. Il est important qu’elles le sachent. En visitant un gros cabinet d’un confrère, qui exerçait avec trois assistantes et deux secrétaires, j’appris qu’une assistante s’était piquée la veille et n’en avait pas informé le praticien. Je lui ai demandé si elle en avait parlé aux autres assistantes. Elle me dit que oui, et qu’elles lui avaient répondu qu’elle en aurait bien d’autres !!! C’est effectivement un métier dangereux dont il faut respecter les bonnes pratiques d’autant qu’une maladie peut mettre du temps à apparaître et qu’elles ne sont assurées que s’il y a déclaration d’accident. Cela explique la nécessité d’une protection personnelle au risque infectieux.

 

Comment indiquer aux patients que l’hygiène et l’asepsie sont une problématique centrale dans le cabinet ?

 

Les patients en sont de plus en plus conscients. Il faut donc que l’asepsie soit une réalité ! Prenons un exemple. Chaque année, à l’hôpital une journée est consacrée à la désinfection des mains. Il serait bon que cette méthode soit également utilisée dans nos cabinets. Il est préconisé un lavage de mains consciencieux le matin, puis désinfection avec une solution hydro-alcoolique le reste de la journée, selon une méthodologie précise, qui ne néglige aucune surface de la main, et qui dure une demie minute. Quand je procède à cette désinfection, je le fais systématiquement assis près du patient, lui-même déjà installé sur le fauteuil. Et les questions de leur part sont systématiques : « Que faites-vous ? Pourquoi le faites-vous si longtemps ? » Et la sensibilisation commence. Pareillement, j’ai encore en mémoire l’une des choses les plus éloquentes qu’une de mes assistantes ait dit un jour à un patient : « Je ne quitterais jamais le cabinet, ici, je suis sûre de ne rien attraper ! » De tels mots et leur vérification constante par le patient, enrichissent votre cabinet de nombreux autres patients.

 

L’hygiène est une préoccupation centrale pour vous…

 

Mais cela doit être une préoccupation centrale pour tous les chirurgiens-dentistes ! Les procédures de stérilisation, par exemple, sont d’une importance capitale dans nos cabinets. Traiter un patient avec un instrument contaminé n’est ni plus ni moins qu’ une faute. La stérilisation est un acte essentiel dont les erreurs peuvent être dangereuses et les défauts pénalisés. Par ailleurs, c’est la plus importante image de qualité d’un cabinet. Il faut le faire. Mais également le faire savoir. Par ailleurs, l’hygiène est le meilleur moyen d’aborder l’ergonomie ! Celle-ci n’est pas fondée sur des outils de performance, de gestion, des stratégies justifiées par la recherche de résultat, de piège à la minute non rentable, mais essentiellement sur cette démarche qualité. Ainsi la disposition à proximité de tous les dispositifs nécessaires avant le traitement (afin de ne pas se déplacer à la recherche d’un outil oublié), la présence des dispositifs pour un éventuel acte complémentaire, un plan de travail parfaitement défini, des séances longues, des protocoles établis par les ou l’assistante et le praticien… sont autant de facteurs qui associent hygiène et ergonomie. Encore faut-il concevoir que la qualité de l’environnement professionnel n’est pas uniquement dépendant des moyens et des techniques de nettoyage, mais en premier lieu, de la maîtrise de ces moyens, de la contamination de notre lieu d’exercice.

 

La traçabilité est-elle un élément important du rôle de l’assistante dentaire ?

 

De nos jours, la traçabilité en stérilisation est le moyen de s’assurer, de vérifier et de prouver la stérilité d’un dispositif médical (c’est-à-dire, exempt de tout micro-organisme susceptible de transmettre une infection). Des praticiens peuvent négliger cet aspect-là, car il n’est pas visible. En effet, quelle est l’évidence d’une transmission ? En pratique ambulatoire, elle est très faible. Il est malaisé de « remonter » jusqu’au cabinet dentaire. Toutefois, on estime, que, dans une carrière, tous les 20 ans un praticien fait face à une plainte en justice de la part d’un patient. Pratiquement, ce sont les assurances qui se chargent d’assumer le volet financier, mais psychologiquement, les dégâts sont grands. Quand l’on sait apporter la preuve du respect des bonnes pratiques (date de la stérilisation, nom du patient, numéro de kit lié au soin…), c’est déjà bien important ! Et puis, bien comprise et bien dominée, la traçabilité en stérilisation est facile, simple, plus simple que de ne pas se tromper avec le dernier iPhone 6 !

 

Que répondez-vous aux confrères qui minimisent le contact du sang dans la pratique dentaire ?

 

Tout chirurgien-dentiste sait bien qu’il est en contact avec le sang. Les extractions existent depuis bien longtemps, le traitement parodontal est chirurgical depuis plus de 50 ans, les greffes épithéliales également. Par contre je pense qu’ils minimisent le risque de contamination dont on ne voit pas immédiatement les conséquences. Une hépatite C peut se révéler 15 ans après une intervention causale. Et là, tout le personnel médical est visé, ainsi que le patient. Je leur montrerais une goutte de sang contaminée au microscope. Je leur dirais que le VIH tient 5 jours sur une surface, le VHC une bonne dizaine de jours. Je leur montrerais des tests de salissure sur leurs propres dispositifs médicaux. Je leur expliquerais les moyens simples pour les réduire…

 

La pratique de l’implantologie doit-elle être spécifiquement encadrée ?

 

Une saisine de la Haute autorité de santé (HAS) a été posée en 2008 par la Fédération de stomatologie et chirurgie maxillo-faciale qui souhaitait que « soit précisé l’environnement technique requis pour poser des d’implants dans des conditions de sécurité adaptées pour le patient ». J’y étais invité en tant qu’expert à la suite du livre Asepsie en implantologie. Guide pratique , ainsi que grâce à mon passé chirurgical (attaché 12 ans en parodontologie et 15 ans en implantologie). Cette saisine fut déboutée. L’HAS édita une Évaluation des actes professionnels de la chirurgie implantaire en chirurgie dentaire qui constitue un encadrement très précis. Ce document est à consulter sur le site de l’HAS. On y trouve toutes les recommandations nécessaires. Pour répondre à votre question, oui, ça doit être parfaitement encadré.

 

À combien estimez-vous le temps de la sécurité ?

 

Comme dirait l’humoriste Fernand Raynaud, « un certain temps » ! Aucune chirurgie ne peut se réaliser sans la présence de ces conditions fondamentales, systématiquement associées. Il est impensable de pratiquer un traitement sans conditions d’hygiène. Oui, ça demande du temps. L’un des gains pourrait-on dire est que le patient est sensible à ces conditions, les assistantes se savent en sécurité et véhiculent cette image de qualité, ce concept auprès des patients. Pour répondre plus particulièrement à votre question, prenons l’exemple de la stérilisation des DM. Elle est parcellaire, constituée de nombreux moments courts. Elle demande pour une journée de 15 patients 55 minutes, traçabilité comprise, et pour une chirurgie implantaire 1 h 30 min.

 

Que conseilleriez-vous à une assistante débutante ?

 

De ne pas faire ce métier si elle n’est pas motivée. C’est un métier complexe, exigeant, prenant et difficile. Il faut connaître tous les instruments, savoir comment les entretenir, connaître les pathologies, prévoir l’acte, anticiper les actes du praticien, rester concentrée. Mais il apporte énormément de satisfaction, on travaille sur du vivant. Bien réussir une intervention est un grand plaisir, redonner le sourire à quelqu’un… l’assistante y participe tellement. Ce métier est sublime… quand on a du plaisir à le faire !

 

Pourquoi précisément l’hygiène ?

 

C’est un contrat de confiance avec le patient. Un contrat et non une promesse : le respect d’aucune transmission, la protection de soi-même et des autres. En 1983, lors d’un séjour au États-Unis je découvre qu’une maladie mortelle est transmise par le sang. Je me rends compte du danger, prends rendez-vous avec Salahuddhin, éminent chercheur sur le VIH. Ce qui m’a le plus interrogé est que ce virus se transmettait par le sang et que dans ce métier, j’étais complètement dedans. Conscient du danger pour notre profession, constamment en contact avec le sang, je multipliais des rendez-vous à l’Institut Pasteur avec Barre-Sinoussi, Chermann, Rozenbaum… ce qui entraîna le premier article sur ce sujet : « Nous dentistes et le Sida », publié dans l’ID en 1985.

 

L’actualité du virus d’Ébola, dont nous avons déjà parlé il y a de nombreuses années nous informe de la possibilité d’autres maladies transmissibles par le sang, à venir peut-être. La gestion et le suivi des règles d’hygiène et d’asepsie, sont le moyen essentiel pour se protéger dans nos cabinets.

 

* UFAD Save the date ! 2 avril 2015 aux salons de l’Aveyron – 75012 Paris