Froid et douleurs dentaires : bientôt un traitement ?

Aux États-Unis, des chercheurs ont découvert que les odontoblastes, les cellules qui forment la dentine, sont à l'origine des douleurs dentaires entraînées par le froid. À terme, cette découverte pourrait bien mener à la mise au point d'un nouveau traitement.

Par Raphaëlle de Tappie, publié le 07 avril 2021

Froid et douleurs dentaires : bientôt un traitement  ?

Chacun le sait, le froid fait mal aux dents. Les raisons sont diverses et variées : une carie non traitée peut entraîner un trou dans une dent et une hypersensibilité au froid mais cette dernière peut aussi être due à une érosion des gencives causée par le vieillissement. Mais certains patients cancéreux traités par des chimiothérapies présentent également une sensibilité extrême au froid. Parfois, la sensation de froid sur les dents est si douloureuse qu’ils en viennent à interrompre leur traitement. Et si la profession conseille aux personnes souffrant de ce phénomène de protéger l’émail de leurs dents en bannissant la consommation d’aliments ou de boissons acides et d’éviter les brossages traumatiques avec une brosse à dents inadaptée, on manque encore de traitements pour inhiber la douleur dentaire. Une nouvelle étude pourrait toutefois être un point de départ intéressant pour un prochain médicament : fin mars dans la revue Science Advances, des chercheurs américains expliquent avoir découvert que les odontoblastes, les cellules qui forment la dentine, sont également responsables de la douloureuse sensation de froid sur les dents.

Au cours de recherches antérieures, les scientifiques avaient déjà découvert la protéine TRPC5, codée par le gène TRPC5, exprimée dans les nerfs de nombreuses parties du corps. Ils avaient alors remarqué que la TRPC5 agissait comme médiateur de la douleur due au froid. Ici, ils se sont intéressés à des souris dont les molaires avaient été percées sous anesthésie. Les rongeurs présentant des lésions dentaires manifestaient la douleur par leur comportement : elles buvaient jusqu’à 300 % plus d’eau sucrée que les autres. Mais, en modifiant génétiquement des souris pour qu’elles ne possèdent pas le gène TRCP5, ils ont constaté que celles souffrant de blessures dentaires se comportaient comme si elles n’avaient aucun problème.

« Nous avons maintenant la preuve définitive que le capteur de température TRPC5 transmet le froid via l’odontoblaste et déclenche l’activation des nerfs, créant ainsi une douleur et une hypersensibilité au froid, explique le pathologiste Jochen Lennerz, l’un des auteurs principaux de l’article et directeur médical du Center for Integrated Diagnostics du Massachusetts General Hospital (MGH). Cette sensibilité au froid pourrait être le moyen utilisé par l’organisme pour protéger une dent endommagée contre des lésions supplémentaires. »

« TRPC5 rend les cellules plus actives au froid »

En réponse au froid, la protéine TRPC5 ouvre des canaux dans la membrane des odontoblastes, ce qui permet à d’autres molécules comme le calcium de pénétrer et d’interagir avec la cellule. Si la pulpe de la dent est, par exemple, enflammée par une cavité profonde, la protéine TRCP5 sera surabondante, ce qui conduit à une augmentation de la signalisation électrique via les nerfs émergeant de la racine de la dent. Ces signaux arrivent ensuite au cerveau, où la douleur est perçue. Quand les gencives se rétractent à cause du vieillissement, les dents peuvent devenir hypersensibles car les odontoblastes ressentent le froid dans une région nouvellement exposée.

« La plupart des cellules et des tissus ralentissent leur métabolisme en présence de froid, c’est pourquoi les organes des donneurs sont mis dans la glace, commente Jochen Lennerz. Mais TRPC5 rend les cellules plus actives au froid, et la capacité des odontoblastes à ressentir le froid via TRPC5 rend cette découverte si passionnante. »

Les chercheurs ont également repéré la présence de la protéine TRPC5 dans des dents humaines extraites. Pour ce faire, ils ont dû les décalcifier et les mettre dans de la résine époxy avant de les trancher pour identifier les canaux TRPC5 dans les odontoblastes. « Nos dents ne sont pas destinées à être découpées en couches ultrafines pour pouvoir être étudiées au microscope », explique Lennerz.

Le pouvoir de l’huile de clou de girofle

« Cette recherche apporte une nouvelle fonction à cette cellule, ce qui est passionnant du point de vue des sciences fondamentales. Mais nous savons maintenant aussi comment interférer avec cette fonction de détection du froid pour inhiber la douleur dentaire », se félicite-t-il.

Pour finir, les scientifiques ont également identifié une cible pharmacologique pour minimiser l’hypersensibilité dentaire au froid : l’huile de clou de girofle. Son agent actif, l’eugénol, bloque le TRPC5. Si cette dernière est utilisée depuis des siècles comme remède contre les douleurs dentaires, notamment par le biais de dentifrices, les résultats de cette étude pourraient conduire à des applications plus puissantes pour traiter l’hypersensibilité dentaire au froid. L’eugénol pourrait également être utilisé comme traitement systémique des patients sous chimiothérapie souffrant d’une sensibilité extrême au froid. « Je suis impatient de voir comment d’autres chercheurs vont appliquer nos résultats », conclut Lennerz.

Les symptômes de l’hypersensibilité dentaire ne se manifestent pas que par un temps froid. Un patient atteint pourra également ressentir des douleurs aiguës en se rinçant la bouche, en se brossant les dents ou en ingérant un aliment trop chaud ou trop froid. En France, entre 15 et 20 % des adultes en souffriraient, majoritairement des femmes. Si l’on en croit les études, les prémolaires maxillaires seraient plus atteintes, ainsi que les canines ou les molaires maxillaires.