Nos ancêtres du Mésolithique dansaient parés de dents d’animaux

Il y a 8 000 ans, les hommes du Mésolithique dansaient au son du cliquetis de dents de wapiti, de castor ou de loup, qu'ils portaient accrochés à leurs vêtements. 

Par Raphaëlle de Tappie, publié le 12 juin 2021

Nos ancêtres du Mésolithique dansaient parés de dents d’animaux

Les femmes du XXIe siècle se parent de colliers pour aller danser ? Les hommes du Mésolithique, ou “âge moyen de la pierre”, se paraient de dents d’animaux. Selon un article paru dans la revue Cambridge Archaeological Journal, des milliers d’incisives d’animaux découvertes dans un cimetière russe vieux de 8 000 ans pourraient avoir été utilisées pour leur rôle dans le maintien du rythme. Les chercheurs ont recréé cette expérience auditive à l’identique.

Entre 1936 et 1938, 117 tombes d’hommes, de femmes et d’enfants ont été mises à jour dans le cimetière préhistorique de Yuzhniy Oleniy Ostrov, sur les rives du lac Onega, dans la république de Carélie, au nord-ouest de la Russie. Plus de la moitié de ces sépultures contenaient des accessoires, dont des dents d’animaux. Certaines tombes en contenaient jusqu’à 300. Il s’agissait surtout de dents d’élans : plus de 4 300 incisives de wapiti ont ainsi été découvertes dans 84 sépultures. Des pétroglyphes de la région suggèrent d’ailleurs que, pendant plus millénaires, l’élan a été très important pour les populations locales.

Toutefois, quelques tombes regorgeaient quant à elles de crocs de castors, d’ours ou de loups. Les chercheurs en ont donc déduit que ces dents avaient dû servir de parures aux vêtements de ces habitants du Mésolithique. Plusieurs analyses tracéologiques, permettant d’étudier les traces d’abrasion sur les objets archéologiques, ont ensuite confirmé cette théorie.

“Stone Ageish Disco”

Pourquoi accrocher des dents à ses parures ? Car celles-ci émettaient un rythme musical quand leurs propriétaires dansaient, expliquent les chercheurs. Aujourd’hui, l’équipe de l’université d’Helsinki (Finlande) a reproduit ce rituel. L’auteure principale de l’étude, Riitta Rainio, archéologue de l’audition à l’université d’Helsinki, a ainsi dansé pendant six heures d’affilée, vêtue d’un ensemble de dents de wapiti retrouvées sur ce site funéraire.

“Porter de tels hochets en dansant permet de s’immerger plus facilement dans le paysage sonore, pour finalement laisser le son et le rythme prendre le contrôle de vos mouvements”, explique-t-elle dans un communiqué. “C’est comme si le danseur était guidé dans la danse par quelqu’un”.

“Le bruit de crécelles obtenu à partir des dents d’élans est fascinant car il transporte le danseur dans un paysage sonore millénaire. Le plus impressionnant pour moi dans cette expérience de danse – que nous avons baptisée “Stone Ageish Disco” – a été le sentiment que c’étaient bien les pendentifs que je portais qui dictaient le rythme et les mouvements de mon corps. Ce n’est pas moi qui décidais de la façon de danser, mais ces ornements dont j’ai suivi le mouvement. C’était libérateur. Après six heures de danse, je ne pouvais plus m’arrêter !”, témoigne-t-elle auprès de Sciences et Avenir.

Dériver dans le monde des chasseurs-cueilleurs

Après avoir essayé ces ornements, les scientifiques ont examiné les marques microscopiques provoquées quand les incisives des wapitis s’entrechoquent. “Comme les dents de l’âge de pierre étaient portées pendant des années, voire des décennies, il n’est pas surprenant que leurs marques soient si distinctives”, explique Evgeny Girya, archéologue à l’Académie des sciences de Russie, co-auteur de l’étude, dans le communiqué.

“Les crécelles à dents de wapiti sont fascinantes, car elles transportent les gens modernes vers un paysage sonore vieux de plusieurs milliers d’années et vers ses rythmes émotionnels qui guident le corps, s’enthousiasme Kristiina Mannermaa, archéologue à l’université d’Helsinki et co-auteure de l’étude. Vous pouvez fermer les yeux, écouter le son des crotales et dériver sur les ondes sonores vers un feu de camp au bord d’un lac dans le monde des chasseurs-cueilleurs de l’âge de pierre.”

Des pendentifs du même genre ont été trouvés dans d’autres cimetières préhistoriques de l’extrême nord de l’Europe, laissant imaginer des pratiques rituelles similaires.

Des hochets toujours utilisés dans des cérémonies et danses religieuses

D’après certains ethnomusicologues, les hochets fabriqués à partir de coquilles, d’os, de dents, de sabots ou de becs font partie des plus anciens instruments de musique du monde. À l’heure actuelle, les hochets sont d’ailleurs toujours utilisés dans des cérémonies et danses religieuses de nombreux groupes comme les Tlingit du nord-ouest du Pacifique et les Sami d’Europe du Nord.

Outre les danses, les scientifiques de la présente étude ont également porté les pendentifs de dents pendant des corvées quotidiennes, soit 60 heures par mois. Aucune marque visible sur les dents n’en est ressortie. La marche et les sauts légers n’ont pas non plus reproduit le type d’entailles identifiées sur les dents du cimetière.