Pourquoi les soins dentaires représentent un danger pour les patients et les chirurgiens-dentistes ?

Ce texte du Dr Laurent Dussarps, est à destination des patients, des chirurgiens-dentistes et des pouvoir publics pour un éclairage de la situation actuelle.

Par la rédaction, publié le 23 mars 2020

Pourquoi les soins dentaires représentent un danger pour les patients et les chirurgiens-dentistes ?

La situation sanitaire que connait notre pays est inĂ©dite. Les mĂ©dias ont peu Ă©voquĂ© la situation des chirurgiens-dentistes qui sont pourtant en premiĂšre ligne. Dans ce contexte difficile la gestion des urgences dentaires est importante pour ne pas engorger les services d’urgence, mais elle prĂ©sente un risque rĂ©el, tant pour les soignants que les patients. À tel point que certains Ordres dĂ©partementaux recommandent à leurs chirurgiens- dentistes de ne pas rĂ©aliser de soins chez les patients, mĂȘme urgents… ce qui n’est pas dans l’habitude de la profession. Pourquoi ?

Le virus du Covid-19 se transmet par aérosol (gouttelettes)

Les patients qui toussent ou Ă©ternuent gĂ©nĂšrent des gouttelettes chargĂ©es en virus du Covid-19, raison pour laquelle ils doivent porter un masque5. Lors d’un Ă©ternuement par exemple, les micro-organismes de moins de 5 microns peuvent flotter dans l’air du fait de leur lĂ©gĂšretĂ©Ì1 … le virus du Covid-19 a une taille bien inferieure de 70-90 nm soit 0,07-0,09 microns4 !

En outre, lors d’un Ă©ternuement ou d’une toux, les projections forment un nuage chargé de gouttelettes. Les plus grosses peuvent aller à plusieurs mĂštres de distance mais tombent en premier, les plus lĂ©gĂšres vont moins loin initialement, mais elles restent en suspension et portĂ©es par le nuage elles pourraient aller jusqu’à 6 mĂštres2 !

Le problĂšme particulier de l’aĂ©rosolisation pendant les soins dentaires

Lorsque le chirurgien-dentiste travaille en bouche, il utilise des instruments dynamiques (turbine, un contre-angle) qui pulvĂ©risent à grande vitesse de l’air et de l’eau qui se mĂ©lange à la salive (que l’on sait en cas d’infection chargĂ©e en virus du Covid-195), ce qui crĂ©é un aĂ©rosol.

Cette aérosolisation entraßne :

  • des projections sur toutes les surfaces alentours (meubles, plan de travail, vĂȘtements du soignant et du soigné, etc.). Le virus peut persister sur les surfaces telles que le mĂ©tal, le verre, le plastique plusieurs jours3. Il pĂ©nĂštre à travers les muqueuses (du nez, de la bouche, des yeux, etc.)
  • un nuage de plusieurs mĂštres pouvant persister des heures7 constituant une contamination de l’atmosphĂšre de la salle de soins6.

Cela explique pourquoi les chirurgiens-dentistes sont les professionnels les plus exposés au risque de contamination comme le dit cet article en ligne du New-York Times.

Comment assurer la sĂ©curitĂ©Ì des soins d’urgence dentaire ?

La sĂ©curitĂ©Ì des chirurgiens-dentistes et des patients nĂ©cessite l’obtention des deux conditions cumulatives suivantes :

  1. Des tenues de protection complĂštes car mĂȘme avec les masques FFP2, la protection serait insuffisante, compte tenu de l’aĂ©rosolisation. Les masques chirurgicaux sont clairement insuffisants. Une tenue complĂšte est indispensable : lunettes de protection, masques, gants, charlotte, Ă©crans faciaux, et sur blouse, voie combinaison Ă©tanche et impermĂ©able5.
  2. Des locaux adaptĂ©s et un personnel formé afin de permettre le nettoyage et la dĂ©sinfection indispensable des locaux5 (sols, murs, surfaces, poignĂ©es de porte, fauteuil,…) et de l’atmosphĂšre entre chaque patient. Respirer sans masque FFP2 mĂȘme plusieurs minutes aprĂšs le soin d’un patient infecté pourrait contaminer le patient suivant, le soignant et propager la pathologie.

Amélioration de la sécurité

En complĂ©ment, voici quelques points qui peuvent ĂȘtre appliquĂ©s5 :

  • Bain de bouche à l’eau oxygĂ©nĂ©e à 1% avant les soins (le virus serait sensible à l’oxydation5)
  • L’utilisation de la digue dentaire (champ opĂ©ratoire) rĂ©duit l’aĂ©rosol contaminé
  • PrivilĂ©gier les soins manuels (sans instruments rotatifs)
  • Changer les turbines et contre-angles entre chaque patient et les stĂ©riliser (mieux que la prĂ©conisation de juste utiliser des porte-instruments rotatifs avec clapet anti- retour5)
  • Traitement prĂ©cautionneux des tenus jetables (incinĂ©ration) et des tenues rĂ©utilisables (lavage, stĂ©rilisation)

En conclusion

Dans ces conditions, il semble impossible aux cabinets dentaires de ville de traiter les urgences. Il n’y a, selon notre avis, qu’au sein des structures hospitaliĂšres avec l’aide du personnel hospitalier que les chirurgiens-dentistes libĂ©raux pourront traiter les soins urgents. C’est la raison pour laquelle nous nous fĂ©licitons de la dĂ©cision du l’Ordre DĂ©partemental des chirurgiens-dentistes de la Gironde qui a dĂ©cidĂ© dĂšs lundi 16 mars au soir de donner les consignes suivantes :

  • ArrĂȘt de tous les soins non urgents
  • Gestion tĂ©lĂ©phonique des urgences pour Ă©viter l’engorgement des mĂ©decins, SAMU, hĂŽpitaux pour des problĂšmes dentaires dont la quasi-totalitĂ©Ì peut soit attendre soit ĂȘtre temporisé par une ordonnance.
  • Projet de travailler conjointement avec le CHU pour rĂ©aliser les soins urgents (pulpite par exemple, la fameuse rage de dent) dans les conditions Ă©voquĂ©es prĂ©cĂ©demment.

Bibliographie :


(1) Ather B, Edemekong PF. Airborne Precautions. Source Stat Pearls[Internet]. TreasureIsland (FL): StatPearls Publishing; 2020-.2020 Feb 17.
(2) BourouibaL., Dehandschoewercker E., &Bush, J.(2014).Violent expiratory events : On coughing and sneezing. Journal of Fluid Mechanics, 745, 537-563. Doi : 10.1017/jfm.2014.88
(3) Kampf G., Todt D., Pfaender S.& Steinmann, E.Persistence of coronaviruses on in animate surfaces and its inactivation with biocidal agents. J Hosp Infect. 2020 Mar ; 104(3):246-251. Doi : 10.1016/j.jhin.2020.01.022. Epub 2020 Feb 6.
(4) Kim J. et al.I dentification of Coronavirus Isolated from a Patient in Korea with COVID-19. Osong Public Health Res Perspect 2020 ; 11(1):3-7
(5) Peng X., Xu X., LiY. Et al. Transmission routes of 2019-n CoV and controls in dental practice. Int J Oral Sci 12, 9 (2020).
(6) Shivakumar KM, Prashant GM, Madhu Shankari GS, SubbaReddyVV, ChanduGN. Assessment of atmospheric microbial contamination in a mobile dental unit. Indian J Dent Res 2007 ; 18:177-80
(7) ZemouriC., deSoetH.,Crielaard W., LaheijA. Ascoping review on bio-aerosols in healthcare and the dental environment. PLoS One. 2017 ; 12(5): e0178007. Published online 2017 May 22

Par Dr Laurent Dussarps, chirurgien-dentiste.