Une structure cachée au cœur de l’émail expliquerait la formation des caries
Une étude américaine publiée au début du mois de juillet dans la revue Nature révèle une complexité inattendue de la structure et la composition chimique de l’émail humain.
Les résultats devraient permettre de mieux comprendre le formation des caries, et pourraient conduire à de nouvelles approches thérapeutiques pour prévenir ou inverser la formation de cavités.
Notre émail est constitué de cristaux oblongs mille fois plus fins qu’un cheveu. Appelés cristallites, ils forment des tiges entrelacées qui lui confèrent sa solidité. Leur composition interne intrigue depuis longtemps les scientifiques. En milieu acide, les noyaux de ces cristallites se dissolvent plus facilement que l’enveloppe extérieure, ce qui laissait suggérer une structure chimique non uniforme, au contraire des dents d’autres mammifères.
« Nous supposions que les cristallites humains avaient une composition similaire à l’émail des rongeurs… Or, il n’en n’est rien. L’émail humain est beaucoup plus complexe que nous ne le pensions », a déclaré Paul Smeets, l’un des auteurs de l’étude.
« Le plus petit sandwich du monde »
Afin de de mieux comprendre la faiblesse du noyau, les chercheurs de l’université Northwestern (banlieue nord de Chicago) se sont basés sur de précédents travaux réalisés par microscope électronique à transmission par balayage (METB). Au sein d’un réseau uniforme et continu d’atomes d’hydroxyapatite, les cristallites semblaient avoir un défaut structurel en leur centre, formant une ligne sombre sur l’imagerie.
Problème : le METB endommageait trop fortement le cœur des cristaux… Pour approfondir leur investigation, les scientifiques ont dû recourir à une sonde atomique tomographique, technique qui utilise des champs magnétiques pour décrocher et analyser successivement chaque couche d’atomes.
La nouvelle cartographie a révélé une architecture jamais vue auparavant. À l’emplacement des tâches sombres se trouve du magnésium hautement concentré en deux couches distinctes, le tout entourant une région centrale riche en sodium, fluor et carbonate. « Le plus petit sandwich du monde », comme l’appelle Karen DeRocher, l’une des contributrices. « Je n’aurais jamais pensé qu’il y avait deux couches de magnésium parallèles au noyau », s’étonne Derk Joester, l’auteur principal de l’étude.
Le point faible de l’émail identifié
L’équipe de recherche a soupçonné que les irrégularités introduites par les couches de magnésium pouvaient donner naissance à des zones de tension dans le cristallite. « Ce stress peut sembler mauvais, mais en science des matériaux, il peut être utile, et nous pensons que c’est ce qui confère à l’émail sa solidité , explique Karen DeRocher. D’un autre côté, ces contraintes rendent le noyau plus soluble », ce qui pourrait jouer un rôle dans le développement de l’érosion et des caries.
Une modélisation informatique a confirmé cette intuition : les contraintes sont de 4 à 40 fois plus importantes dans le « sandwich » (le noyau) que dans l’enveloppe. En pratique, lorsque les chercheurs ont exposé les cristallites à un milieu acide reproduisant l’environnement buccal, l’élément central de la structure a montré plus d’érosion que sa coque. « Il semble que les gradients chimiques dans les cristallites les rendent plus robustes mécaniquement, mais le coût est que les noyaux se dissolvent plus rapidement lorsqu’ils sont exposés à l’acidité. Ces nouvelles informations permettront un modèle de simulation de la dégradation de l’émail qui n’était pas possible auparavant, ce qui nous aidera à mieux comprendre comment se développent les caries », conclut Karen DeRocher.
Référence
« Chemical gradients in human enamel crystallites », Derek Joster et al., Nature, juillet 2020.