Les traumatismes dentaires au niveau des secteurs antérieurs se traduisent majoritairement par des fractures coronaires et des luxations de sévérités plus ou moins importantes. Le repositionnement des dents ayant subi des luxations partielles verticales et latérales est une quasi-évidence et paraît logique, surtout que le délai d’intervention est généralement court. Le repositionnement des dents expulsées (luxation totale) est plus complexe et soulève très souvent de nombreuses questions comme la pertinence de la réimplantation en cas de mauvaises conditions de conservation, l’existence d’une fracture alvéolaire associée, l’existence d’un caillot sanguin parfois important, l’intégrité de la couronne et / ou de la racine, pour ne citer que les préoccupations les plus fréquentes. La réimplantation d’une dent partiellement luxée ne demande aucun traitement à la surface de la racine. Par contre, la réimplantation d’une dent expulsée semble exiger, au vu des recommandations, l’utilisation des produits auxquels nous ne sommes pas forcément familiers ou souvent absents de notre trousse d’urgence. La méconnaissance de ces traitements, la difficulté de l’acte et la confusion entre le délai idéal (de quelques minutes) et le délai réel (souvent de quelques heures) permettant une réimplantation réussie font que, très souvent, les dents expulsées et mal conservées, avec notamment un délai extra-oral de plusieurs heures ne sont pas réimplantées. Cette non-intervention crée des problèmes à court terme (esthétique), à moyen terme (fonctions, traitements orthodontiques, temporisations) et à long terme (aménagement du site implantaire et / ou prothétique).
Décoronation en cas d’ankylose
Les risques d’ankylose (résorption de remplacement) sont très importants, notamment lorsque les cellules désmodontales sont lésées et ont perdu leur vitalité. Il en est de même lorsque la surface de la racine est curetée à l’aide d’un instrument. Cette ankylose risque d’aboutir à une infraclusion de la dent réimplantée, ce qui, à long terme, pose des problèmes d’ordre esthétique. L’extraction des dents ankylosées comporte des risques de fragilisation des tissus osseux environnants et...
une certaine invasivité qui détruit parfois le capital osseux. Il est recommandé de procéder à une décoronation en cas d’ankylose des dents au début et au milieu de la croissance faciale dès qu’un décalage de plus de 1 mm est visible au niveau des bords libres. Cela favoriserait davantage la croissance alvéolaire et la préservation des volumes osseux. Ce dernier acte est cependant difficile à réaliser et méconnu de la profession. Une contention rigide et de longue durée semble également augmenter les risques d’ankylose. Par conséquent, la durée de la contention doit être adaptée en fonction des facteurs locaux (nombre de dents, occlusion statique et dynamique, traumatisme simple ou complexe…). Dans la très grande majorité des cas, nous sommes en présence de dents expulsées chez des enfants au milieu de la croissance du massif facial (10-12 ans) avec des pertes totales de vitalité des cellules parodontales et pulpaires, compte tenu de la maturité apicale. De nombreuses questions se posent dans ces situations d’urgence auxquelles nous tenterons d’apporter des réponses.
Qu’est-ce qu’une réimplantation tardive ?
Le temps au-delà duquel nous pouvons parler de réimplantation tardive n’est pas clairement défini. Il s’agit du temps qui ne permet plus une cicatrisation pulpaire et desmodontale. On trouve dans la littérature scientifique des délais allant de 5 minutes à 60 minutes ! Cependant, les objectifs d’une réimplantation ne sont pas limités à la conservation de la vitalité pulpaire et de la cicatrisation parodontale. La réimplantation doit permettre la normalité des fonctions, la croissance dento-alvéolaire convenable et l’aménagement d’un environnement favorable à un traitement implantaire futur. Par conséquent, une réimplantation tardive peut parfaitement répondre à certains de ces objectifs, ce qui rend la définition de ce temps encore plus vague. Compte tenu de la vitalité des cellules desmodontales qui n’est que de 5-20 minutes maximum en milieu isotonique (pour ne garder que la version la plus réaliste), la quasi-totalité des réimplantations peut être qualifiée de différée, terme que nous préférons à tardive. Cette réimplantation, différée pour de multiples raisons (médicale, d’organisation, de transport…) doit répondre à un certain nombre d’objectifs et permettre d’éviter des complications biologiques, très difficiles, voire impossibles à juguler plus tard.
Que risque-t-on en cas de mauvaise conservation de la dent après son expulsion ?
Une dent maintenue au sec, ou dans l’eau, voire même dans un liquide isotonique à plus de 5-20 minutes n’offre aucune vitalité cellulaire au niveau radiculaire. Les risques d’ankylose sont importants et aboutissent à des complications esthétiques du complexe dento-gingival et des désordres fonctionnels. De plus, l’ankylose rend difficile les traitements orthodontiques futurs, souvent nécessaires pour ces enfants dont la pro-alvéolie maxillaire est un facteur de risque dans les traumatismes dentaires.
Faut-il réimplanter tardivement les dents expulsées à apex fermé chez l’enfant au milieu et en fin de croissance ?
Cela doit être entrepris sans hésitation si les conditions biologiques (absence de contre-indications d’ordre général) ou la situation clinique (l’importance du traumatisme, traumatismes associés) le permettent. La dent réimplantée devient un mainteneur d’espace au niveau coronaire et au niveau radiculaire. Tout est basé sur la recherche de l’équilibre entre les avantages et les inconvénients de cet acte et ceux d’une non-intervention. La non-réimplantation imposera des réhabilitations esthétiques et fonctionnelles très difficiles à réaliser durant cette période critique (7-14 ans). De plus, la non-réimplantation de la dent aboutit fatalement à une perte du volume osseux, notamment en ce qui concerne l’épaisseur de la crête osseuse, nécessaire à la mise en place d’un implant à l’âge adulte. En contrepartie, la réimplantation retardée ou différée peut entraîner des résorptions de remplacement, associées aux résorptions inflammatoires, ce qui aboutit parfois à la perte des tissus parodontaux environnants en même temps que la racine de la dent réimplantée. Ainsi, la réimplantation ne préserve pas à coup sûr le volume osseux et la garantie d’un environnement osseux et gingival propice à la mise en place d’un implant dans des conditions les plus favorables.
Faut-il réaliser un traitement endodontique dans la séance, avant la réimplantation ?
Cela n’est ni nécessaire ni recommandé. En effet, cette démarche est difficile et fait perdre un temps précieux qui doit être exclusivement réservé à la réimplantation de la dent et à la réalisation d’une contention efficace. Une obturation définitive nous prive de la voie d’accès endodontique pour la mise en place du médicament utilisé pour la prévention des résorptions qui est l’hydroxyde de calcium sous forme de pâte non durcissante. La mise en place de ce dernier dans la même séance nous expose à un risque de dépassement et de contamination des surfaces radiculaires, ce qui est synonyme de retard de cicatrisation parodontale. L’endodontie sera réalisée dans un délai d’une à trois semaines après la réimplantation, sachant que toute dent mature, et toute dent immature conservée au sec ou dans un milieu inapproprié à plus de 20 minutes nécessite un traitement endodontique par impossibilité de cicatrisation et / ou de régénération pulpaire.
Quelle attitude faut-il avoir vis-à- vis du caillot sanguin intra-alvéolaire ?
Si le caillot n’est pas éliminé ou mal éliminé, il sera repoussé vers l’os alvéolaire lors de la réimplantation de la dent. Ceci devient plus ou moins visible par un aspect oedématié et bleuté de la gencive. Le caillot réimpacté dans l’os risque d’entraîner une réaction inflammatoire exacerbée, un hématome facial, une cellulite au regard du site de réimplantation et des risques majorés de résorption. L’utilisation d’une curette droite fine et longue est indispensable pour s’assurer de la vacuité de l’alvéole avant la réimplantation.
Comment doit-on traiter la surface de la racine des dents avant la réimplantation ?
En dehors d’une réimplantation immédiate où aucun traitement de surface ne doit être pratiqué, si ce n’est qu’un rinçage au sérum physiologique pour éliminer d’éventuels débris, certains traitements ont été proposés pour retarder la résorption radiculaire, pour décontaminer la racine et pour favoriser la cicatrisation parodontale. Le traitement par immersion dans une solution de fluorure de sodium à 2 % pendant 20 minutes a été proposé et semblerait retarder les résorptions de remplacement dans les cas de réimplantation à haut risque de résorption de remplacement (réimplantations retardées). L’immersion de la dent dans une solution d’antibiotique de la famille des cyclines (1 mg de Minocycline / 20 ml de sérum physiologique) pendant 5 minutes permettrait de favoriser la cicatrisation pulpaire des dents réimplantées à apex ouvert. Quel que soit le traitement des surfaces radiculaires, les risques d’ankylose restent majeurs en cas de réimplantation tardive. Les débris radiculaires et exogènes doivent être délicatement éliminés à l’aide d’une compresse imprégnée de sérum physiologique en cas de réimplantation retardée. L’emploi d’une solution d’hypochlorite de sodium afin d’éliminer le ligament parodontal résiduel à la surface de la racine des dents matures a également été proposé avant les réimplantations retardées. Ceci a pour but d’éliminer tout ce qui peut initier une réaction de résorption inflammatoire.
Quelle contention faut-il réaliser dans les cas de réimplantation ?
La flexibilité de la contention peut être ajustée en cas d’utilisation d’attelles à base de fibres de verre ou de polyéthylène. Dans les cas simples, il s’agit d’une contention « pas trop rigide » (car rien ne permet de quantifier cette flexibilité ni de recommander une flexibilité idéale). Une contention à l’aide d’un fil métallique de faible diamètre (0,6 mm) peut également s’envisager, surtout parce que la gestion du collage y est plus simple en cas de saignement ou de difficulté de gestion des risques de contamination. Dans les cas plus complexes, notamment les cas associant une fracture de procès alvéolaire, la contention devient plus rigide et sa durée de port augmentée. En cas de présence concomitante d’une fracture radiculaire, la réimplantation du fragment coronaire (> 2 / 3 radiculaire) sera poursuivie d’une contention rigide qui sera maintenue plusieurs semaines.
Comment vérifier une fracture du procès alvéolaire ?
C’est lors du curetage léger de l’alvéole que la curette appuiera délicatement sur les parois vestibulaire et palatine de l’alvéole pour mettre en évidence un éventuel déplacement du procès alvéolaire. Au cas échéant, la contention de la dent réimplantée doit permettre de maintenir le fragment osseux en place pour sa cicatrisation.
Quelle prescription doit-on faire après la réimplantation ?
Un antibiotique à large spectre doit être prescrit pendant huit jours, associé à un antalgique de palier 1 et des soins locaux de désinfection à base de Chlorhéxidine. Toute infection locale est initiatrice de résorptions inflammatoires plus ou moins intenses. Un brossage doux doit être rapidement instauré à l’aide d’une brosse à dents post-chirurgicale, puis une brosse à dents souple.
Quel est le pronostic des dents réimplantées tardivement ?
Le pronostic à long terme de ces dents est défavorable, compte tenu des complications parodontales. Les résorptions inflammatoires doivent et peuvent être jugulées par la mise en place et le renouvellement d’une pâte intra-canalaire à base d’hydroxyde de calcium. Les résorptions de remplacement sont plus complexes à traiter mais leurs conséquences sont moins graves, notamment lorsque la réimplantation retardée a lieu vers la fin de la croissance faciale. Le risque d’ankylose est donc à relativiser car même un maintien à moyen terme de ces dents permet d’éviter la mise en oeuvre de procédés prothétiques, souvent complexes. Quelle que soit la situation clinique, un suivi très régulier permettra de déceler une ankylose, une résorption radiculaire ou une complication endodontique. Dans les cas complexes, une prise en charge multi-disciplinaire est à instaurer pour améliorer la prise en charge prothétique et implantaire future. Nous devons garder à l’esprit qu’au-delà d’un pronostic exclusivement dentaire, nous devons tenir compte des avantages multiples que la réimplantation, même retardée, pourra apporter à nos jeunes patients.
Que faut-il dire des aspects juridiques des traumatismes ?
La rédaction d’un certificat initial est capitale pour la prise en charge future des traumatismes qui peuvent montrer des complications importantes après plusieurs années. Les préjudices esthétiques, fonctionnels et psychologiques sont très souvent considérables et sous-estimés.
Face à la frilosité des compagnies d’assurance à prendre en considération et en charge ces préjudices, il convient de conseiller aux patients d’avoir recours à l’assistance d’un avocat pour faire valoir et obtenir les indemnisations prévues par les contrats d’assurances et les lois en vigueur.



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