La sécheresse orale est un terme généraliste qui se réfère à la notion de bouche sèche. Au niveau sémiologique, on distingue la xérostomie qui est le symptôme traduisant l’impression de bouche sèche ressentie par le patient et l’hyposialie qui est le signe clinique objectivant la diminution ou la modification quantitative de la salive [1].
La grande majorité des situations de sécheresse orale qui conduisent le patient à consulter sont principalement des sécheresses chroniques définies par une évolution d’au moins trois mois. Cette mise au point se concentre sur cette présentation clinique depuis son diagnostic jusqu’à sa prise en charge clinique.
Physiopathologie et étiologie
Trois mécanismes physiopathologiques peuvent expliquer une hyposialie [2,3] :
- un déficit en eau et/ou en métabolites,
- une atteinte des glandes salivaires,
- •une dysfonction du contrôle nerveux de la salivation.
Les étiologies fréquemment retrouvées sont :
- • d’origine iatrogène : médicamenteuse (traitements anticholinergiques et sympathomimétiques comme les psychotropes, les opiacés, certains cardiotropes…), ou encore la conséquence de thérapeutiques utilisées en oncologie (irradiation cervico-faciale, maladie du greffon contre l’hôte),
- • d’origine dysimmunitaire : un syndrome de Gougerot-Sjögren, une sarcoïdose,
- • d’autres étiologies : diabète, déshydratation extracellulaire et intracellulaire, une maladie neurologique, un épisode dépressif majeur…
Il est à noter que la stomatodynie est une cause fréquente de xérostomie sans hyposialie objectivée.
Les facteurs favorisants sont la respiration buccale, le stress, la consommation de tabac, d’alcool et de caféine. Compte tenu de ces étiologies, la xérostomie touche plus volontiers les femmes ménopausées et les personnes de plus de 65 ans. Les...
personnes âgées sont les plus exposées du fait du vieillissement physiologique des glandes salivaires auquel s’associent des pathologies et des polymédications inductrices.
Diagnostic
L’approche diagnostique d’une sécheresse orale devra objectiver l’hyposialie, en évaluer les complications et identifier l’étiologie par un examen clinique complété si besoin d’examens complémentaires.
Examen clinique
L’interrogatoire médical doit permettre un relevé rigoureux des antécédents et des traitements pris afin d’identifier les maladies (maladie auto-immune…) et thérapeutiques (irradiation cervico-faciale, psychotropes…) pourvoyeuses de sécheresse orale. Il recherchera aussi des signes d’atteintes systémiques : xérophtalmie, asthénie, arthro-myalgies… orientant vers une maladie auto-immune de type Gougerot-Sjögren.
Concernant la xérostomie et ses conséquences, le patient rapporte fréquemment une sensation d’inconfort au cours des différentes fonctions orales avec notamment une gêne à l’alimentation solide, une sensation de bouche collante avec une salive visqueuse, filante, mousseuse ou pâteuse.
Des signes associés peuvent aussi être évoqués tels qu’une dysgueusie, une sensation de brûlure, des hypersensibilités dentinaires, une difficulté au port de prothèse amovible. Il faudra aussi évaluer la sévérité de la sécheresse par son impact sur la qualité de vie. Le questionnaire de Fox et al. peut constituer une aide au diagnostic ; (Tableau 1) [4].

L’examen clinique permet d’authentifier l’hyposialie et d’évaluer les complications :
- par des signes directs comme l’absence de salive au niveau des orifices parotidiens et submandibulaires lors de la pression des glandes salivaires correspondantes, une adhérence des gants ou du miroir aux tissus ; (Fig.1),
- par des signes indirects, il s’agit alors d’en évaluer les complications locales

Au niveau dentaire, muqueux et des glandes salivaires. Il convient de rechercher une halitose, une augmentation de la plaque dentaire, des caries du collet, des déminéralisations et érosions amélaires ; (Fig.2), une inflammation gingivale, une muqueuse atrophique, une langue fissurée lobulée dépapillée ; (Fig.3), une chéilite exfoliative ; (Fig.4), des perlèches, des candidoses orales à répétition ; (Fig.5), une hypertrophie chronique des glandes salivaires et des infections des canaux excréteurs.


Examens complémentaires
La mesure du débit salivaire peut se faire de façon simple par la pesée d’un coton salivaire laissée 5 minutes sous la langue. Chez un patient sain, le poids du coton augmente de 0,5 g.
Une technique plus informative repose sur la réalisation d’une sialométrie non stimulée et stimulée ; (Fig.6) afin d’obtenir le débit salivaire. Elle consiste à recueillir la salive totale par une pompe à salive d’abord sans stimulation pendant 10 minutes puis avec une stimulation par la mise en bouche de 1 ml de jus de citron ou par la mastication d’un bloc de paraffine pendant 5 minutes simultanément au recueil. Un débit non stimulé pathologique est inférieur à 0,3 ml/min et un débit stimulé pathologique est inférieur à 0,7 ml/min ; (Fig.7) [5,6]. Il est possible d’obtenir un débit non stimulé pathologique avec un débit stimulé normal révélateur d’une situation de meilleur pronostic.
Dans les syndromes de Gougerot-Sjögren, une augmentation des anticorps anti-SSA et/ou anti-SSB et la présence d’un infiltrat lympho-plasmocytaire sur la biopsie des glandes salivaires contribuent au diagnostic ; (Fig.8). Une fois le diagnostic posé, l’évaluation de l’infiltration et de la destruction des glandes salivaires principales pourra être objectivée par une échographie des glandes parotides et des glandes submandibulaires ; (Fig.9). Une prise en charge multidisciplinaire est conseillée.


Prise en charge thérapeutique
La prise en charge sera conditionnée à la demande du patient et à son handicap au quotidien. Elle devra avant tout essayer de contrôler les facteurs étiologiques, seules thérapeutiques curatives existantes. Ces mesures pourront être complétées si besoin par des règles hygiéno-diététiques, des prescriptions de substituts salivaires et de sialogogues. L’escalade thérapeutique appliquée en fonction de la sévérité de l’hyposialie est synthétisée dans l’organigramme suivant ; (Tableau 2).

Contrôle des facteurs étiologiques
Si une pathologie auto-immune est suspectée ou identifiée, le patient sera adressé vers un spécialiste rhumatologue ou interniste pour l’instauration d’un traitement de fond et d’une surveillance instaurée notamment devant le risque de lymphome dans le syndrome de Gougerot-Sjögren.
Si des traitements iatrogènes sont incriminés, il convient de s’adresser au médecin prescripteur pour adapter la prescription afin de limiter cet effet secondaire par l’arrêt du traitement, la diminution de la posologie, l’augmentation du fractionnement ou le déplacement de l’heure de prise pour limiter la gêne pendant les repas.
Education thérapeutique, règles hygiéno-diététiques et mesures préventives
Le patient devra être informé de sa pathologie, des causes et des conséquences. Les facteurs favorisants tels que le tabac et l’alcool doivent être évités. Devant une hyposialie faible, la première ligne thérapeutique repose sur la stimulation de la sécrétion salivaire. Ceci sera obtenu par la mastication de chewing-gums sans sucre ou de noyaux de pruneaux.
L’alimentation doit limiter les apports acides et favoriser les boissons riches en calcium et phosphates. Lorsque l’alimentation solide est difficile, les plats en sauce et potages doivent être privilégiés. Par ailleurs, la sensation de sécheresse peut être soulagée en buvant de l’eau ou en suçant de la glace pilée. Lorsque la gêne prédomine la nuit, une diminution de la symptomatologie peut être obtenue par la mise en place d’un humidificateur dans la pièce ou encore par l’application de vaseline sur les faces internes des joues et la langue pour limiter le frottement muco-dentaire sous réserve que le patient ne soit pas oxygéno-dépendant.
Concernant l’hygiène orale, les recommandations classiques (deux brossages dentaires par jour avec une brosse à dents souple, utilisation de brossettes et de fil dentaire, nettoyage de la langue) doivent être rappelées au patient. L’instauration de bains de bouche bicarbonatés peut compléter ces mesures. Les prothèses amovibles doivent être immergées une fois par semaine dans une solution d’hypochlorite de sodium 1 % pendant 30 minutes puis rincées à l’eau [7].
Un suivi chez le chirurgien-dentiste doit avoir lieu tous les 3 à 6 mois pour prévenir les lésions carieuses et parodontales. La bonne adaptation des prothèses amovibles doit être vérifiée et des rebasages réalisés pour prévenir la formation de perlèches. Une fluo roprophylaxie par l’application de gel fluoré à 20 000 ppm dans une gouttière à porter 5 minutes quotidiennement à vie ou par une fluoration faite par un professionnel de santé est recommandée dans les cas d’hyposialie post-radiothérapie et 5 minutes de façon hebdomadaire en complément d’un brossage avec un dentifrice fluoré médicamenteux dans les hyposialies iatrogènes modérées à sévères ; (Fig.10) [8].

Sialologues
La prescription de chlorydrate de pilocarpine peut améliorer une sécheresse orale modérée à sévère lorsqu’une capacité de production salivaire par les glandes persiste. Ceci pourra être objectivé par la mesure du débit salivaire stimulé. Les effets apparaissent progressivement et doivent être évalués à 6-8 semaines. Les contre-indications sont une allergie au traitement, un asthme non équilibré, un glaucome aigu à angle fermé, une inflammation de l’iris. Les effets secondaires fréquents devront être communiqués au patient sous peine d’une non-observance thérapeutique. Il s’agit d’une hyperhidrose, des céphalées, des palpitations, des flushs, une pollakiurie [9]…Des interactions médicamenteuses sont possibles avec les traitements bradycardisants et inducteurs de torsade de pointe. La posologie est de 5 mg, 3 à 4 fois par jour ou prescrit sous forme de collyres (à 2 %) à utiliser en bain de bouche pour une bonne imprégnation des muqueuses, puis à avaler. Le traitement est progressif et débuté par 1 goutte (ou un comprimé) matin et soir pendant un mois. Le patient est revu et en fonction de l’efficacité et des effets indésirables la posologie peut être augmentée. Il est conseillé de prendre le traitement 30 à 60 minutes avant les repas afin de bénéficier de son efficacité maximale [10].
Substituts salivaires
Leur efficacité n’est pas démontrée sur la prévention de la carie et de la candidose, en revanche ils peuvent améliorer le confort de vie du patient [11]. Il est bien souvent nécessaire de tester plusieurs substituts avec des propriétés viscoélastiques différentes afin de trouver le produit qui convient au patient [12].
Prise en chargedes complications
Enfin, les complications de la sécheresse devront être traitées au cas par cas : prescription d’antifongiques lors d’infection candidosique, réalisation de soins de caries, pose de prothèse complète sur attachements axiaux type Locator par exemple dans les syndromes de Gougerot-Sjögren… ; (Fig.11).

En effet, quand l’attitude conservatrice dentaire arrive à échéance, il va de soi de pouvoir proposer au patient une solution lui apportant confort et qualité de vie orale. Aussi, il n’y a pas de contre-indication à la pose d’implants dans ce contexte d’auto-immunité.
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