Endodontie : l’instrumentation de plus en plus accessible aux omnipraticiens

Complexe et difficile. Tels sont les qualificatifs souvent attribués à l’endodontie, discipline centrée sur la prévention et la prise en charge des pathologies de la pulpe dentaire et du péri-apex. En témoignent diverses thèses, dont les auteurs déclarent que les traitements endodontiques font « appel à de nombreuses étapes délicates et complexes » et consistent en « un acte difficile »*. Ainsi, le Dr Laurent Araujo, omnipraticien ayant développé un exercice orienté vers l’endodontie à Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), perçoit chez nombre de ses confrères « une peur de la gestion de la douleur, de l’échec thérapeutique, de ne pas réussir à réaliser le traitement en une fois, etc. ».

Le plateau technique nécessaire à cette discipline, lui aussi souvent qualifié de « complexe » effraie aussi. « Un plateau technique complexe est indispensable », écrit à cet égard la Société française d’endodontie (SFE) sur son site Web. Au point de dissuader des omnipraticiens de se lancer dans un exercice non exclusif de l’endodontie. Stéphane Simon, endodontiste cofondateur de l’organisme de formation Endo Académie rapporte entendre souvent chez ses confrères des phrases du type « Je ne peux pas réaliser ce type d’actes car je ne dispose pas des bons instruments ».

Si bien qu’à l’étranger, l’endodontie est considérée comme une spécialité. Et qu’en France, malgré l’absence d’une telle spécialité officielle, « un exercice exclusif, limité à l’endodontie » se développe, et concernerait à l’heure actuelle quelques centaines de professionnels disposant d’un vaste plateau technique, explique Alexis Gaudin, professeur d’endodontie au CHU de Nantes et président de la SFE.

De nouveaux instruments qui facilitent la pratique

Toutefois, de récentes évolutions de l’équipement ont en fait rendu la discipline techniquement plus accessible. « L’endodontie s’est considérablement “simplifiée” », résume sur son site Endo Académie. Ce que confirme le Pr Alexis Gaudin : depuis les années 1980, une succession de progrès de l’instrumentation a « facilité les traitements ».

Première avancée : l’apparition de l’instrumentation mécanisée – autorisée, comme l’explique le Pr Gaudin, par le remplacement de l’acier par le nickel-titane dans les années 1990. Avec à la clé « une super-élasticité et davantage de flexibilité (…), permettant un gain de temps, d’efficacité, de mieux négocier les courbures, et surtout d’utiliser des moteurs ». Ainsi, deux types de moteurs ont tour à tour vu le jour : les moteurs à rotation continue (permettant une rotation continue de l’instrument dans un sens), puis les moteurs à réciprocité (conférant à l’instrument un mouvement alternatif horaire et anti-horaire).

Puis, l’arrivée des aides optiques, soit des loupes et microscopes, a transformé la discipline. « Il apparaît difficile (aujourd’hui) de faire de l’endodontie sans un grossissement minimum de 2 à 3 », juge le Pr Gaudin.
Au-delà de l’instrumentation, le développement récent des biocéramiques a simplifié l’obturation. « Ces ciments se caractérisent par une grande facilité d’emploi, permettant de gagner du temps », explique le professeur d’endodontie.

Rotation continue ou réciprocité ?

Faut-il opter pour un moteur à rotation continue ou à réciprocité ? Selon le site d’Endo Académie, certaines études montrent une supériorité de la réciprocité. Cependant, le choix dépendrait surtout de la sensibilité et des habitudes de chacun. Quoi qu’il en soit, pour ne pas risquer de se tromper, le Dr Simon propose d’adopter un moteur… capable d’effectuer les deux mouvements. Même conseil du côté du Pr Gaudin, en particulier pour les cabinets réunissant plusieurs praticiens. Par ailleurs, alors que de plus en plus de moteurs sont vendus couplés à un localisateur d’apex, le Dr Simon préconise d’acheter ces équipements séparément, afin d’éviter toute « perte de précision ».

Baisse des coûts

Problème : ces équipements se révélaient initialement très onéreux. « Lorsque j’étais à la faculté, ces instruments étaient si chers qu’ils n’étaient disponibles que pour les internes », se souvient le Dr Araujo. Difficile alors de s’équiper pour un exercice non exclusif.

Cependant, les prix chutent. « Le coût des instruments a été divisé par deux », participant à la démocratisation de la discipline, s’enthousiasme le Dr Simon. Une tendance due à une réduction des coûts de production, à la disparition des intermédiaires de vente et surtout à une « réduction des marges des grandes entreprises », qui ont perdu le monopole sur ces instruments, précise le formateur en endodontie. « Depuis dix ans, toutes ces innovations sont entrées dans le domaine public, (permettant la vente à moindre coût) par divers autres fabricants », confirme Olivier Larfarge, vice-président du Comident.

Ainsi, le Dr Simon et Olivier Lafarge indiquent que sont désormais disponibles des moteurs à moins de 1 000 euros – « suffisants » pour un exercice non exclusif, rassure le Dr Simon. De même, bien que les microscopes restent onéreux, selon le Pr Gaudin, le montant de certaines loupes – qui « servent aussi pour d’autres disciplines » – ne dépasse pas 800 euros. Seules les biocéramiques restent plus coûteuses, à environ 150 euros le gramme – bien que, note l’endodontiste, leur prix élevé semble compensé par le gain de temps qu’elles permettent.

Peut-on se fier à l’équipement low cost ?

« Les instruments les plus chers ne sont pas forcément les plus efficaces », insiste le Dr Simon. Mais peut-on vraiment se fier au matériel low cost ? Oui, affirme l’endodontiste… bien que la confiance n’exclue pas le contrôle. D’autant que selon Olivier Lafarge, « les instruments endodontiques comptent parmi les plus contrefaits ». En pratique, le Dr Simon et Olivier Lafarge recommandent de vérifier la fiabilité des distributeurs et intermédiaires. « Mieux vaut éviter les sites internet qui apparaissent et disparaissent du jour au lendemain », souligne le vice-président du Comident. Le Dr Simon suggère aussi de s’assurer de la mention de l’origine du produit.

Un plateau technique pas si vaste

En plus de ces innovations, les praticiens interrogés ne retiennent qu’un instrument indispensable aux omnipraticiens : un localisateur d’apex – dont le coût ne dépasse pas quelques centaines d’euros. Autrement dit, pour traiter 90 % des patients en omnipratique, estime le Pr Gaudin, seuls sont nécessaires un moteur, une paire de loupes, des ciments biocéramiques et un localisateur d’apex, pour un coût d’acquisition total potentiellement inférieur à 3 000, voire 2 500 euros. « Les instruments les plus sophistiqués et chers peuvent être laissés aux spécialistes », insiste le Dr Simon : pas besoin de microscope dernier cri, de cassettes de chirurgie, de prévoir le matériel en double ou en triple, etc.

Néanmoins, à ce plateau technique central s’ajoutent quelques éléments annexes, d’où des coûts supplémentaires. Si les solutions de désinfection à base d’hypochlorite de sodium et d’EDTA indispensables au traitement restent bon marché, l’acquisition par exemple d’un moteur amène souvent l’achat de contre-angles – à au moins 500 euros, souligne le Dr Araujo.

Surcoûts liés aux consommables

Et surtout, l’endodontie se révèle très gourmande en matériel jetable. « Ce qui coûte très cher (…), c’est le consommable », et notamment les limes, pointe le Dr Araujo. Les tarifs restent élevés, de l’ordre d’une centaine d’euros pour une plaquette de cinq, affirme-t-il.

De surcroît un décalage persiste entre « le temps passé (à réaliser de longs traitements d’endodontie) et le codage de la classification commune des actes médicaux (CCAM) par la Sécurité sociale », dénonce le Pr Gaudin. Et si les endodontistes exclusifs disposent d’une certaine « liberté tarifaire » généralement acceptée par les patients, « les omnipraticiens peinent à justifier des dépassements d’honoraire ». Et ce, alors que ces professionnels doivent aussi assumer l’achat de tous les autres équipements requis en omnipratique, regrette le professeur d’endodontie.

Quoi qu’il en soit, pour les experts interrogés, l’exercice non exclusif de l’endodontie ne devrait pas faire peur. « Tous les praticiens que je connais qui ont voulu se mettre à l’endodontie ont réussi », encourage le Pr Gaudin. Il apparaît en particulier aisé de trouver des patients, « le nombre d’endodontistes restant insuffisant par rapport aux demandes des patients en France (à l’exception peut-être de la région parisienne) : je ne connais aucun chirurgien-dentiste qui ait fait marche arrière », raconte-t-il. Et aux yeux du Dr Araujo, le service rendu aux patients, « la concentration et le calme » requis lors des traitements d’endodontie, etc. compensent les questions de coût.

* Es Soudaik Stéphane, ” Complications peropératoires lors d’un traitement endodontique par voie orthograde sur dent permanente “, thèse soutenue à l’Université Paris Descartes (Paris), 2019.
Castelot Enkel Bénédicte, ” Évaluation des thérapeutiques endodontiques : intérêt éventuel d’un matériau bioactif “.