La « Strip Technique » : une solution de vestibuloplastie simple et reproductible
La technique de la bandelette ou « Strip Technique » permet de réduire les suites liées à ce type de prélèvement en garantissant une cicatrisation plus rapide du site donneur.

Lors de réhabilitations complexes incluant des reconstructions osseuses pré-implantaires de grande étendue, la perte de tissu kératinisé et le déplacement coronaire de la ligne muco-gingivale (LMG) constituent un défi dans la gestion des tissus mous. Bien souvent, si on a bien travaillé, on se retrouve avec un volume osseux restauré. La radio est hyper séduisante et le volume à implanter tout à fait généreux. Mais cliniquement, que dire de la gencive, du vestibule ? Quel site donneur pour une grande étendue ? Et pas question dans ce cas de se contenter d’un greffon conjonctif enfoui ; pas le choix dans ce cas !
Les solutions devront s’équilibrer entre l’étendue des sites donneurs (le palais la plupart du temps) et l’usage de matrices d’origine xénogéniques ou allogéniques.<
L’utilisation de tissus « autogènes » n’est pas exempte de complications postopératoires, que ce soit : hémorragie ou infection du site donneur, dysesthésie palatine et augmentation du temps opératoire. Bien que les matrices de collagène ou dermiques soient utilisées pour réduire la morbidité des interventions, ces matériaux ne permettent pas d’obtenir les même résultats cliniques qu’une greffe épithélio-conjonctive « classique ». Néanmoins, les greffons issus du palais ont tendance à conserver leurs apparences initiales, en particulier cet aspect rose nacré, ce qui rend leur intégration esthétique moins bonne.
La technique de la bandelette ou « Strip Technique », remise au goût du jour par Istvan Urban, est en réalité une solution déjà proposée il y plus de trente ans, dans une forme moins aboutie par Han et col. afin de limiter la morbidité des prélèvements palatins de moyenne à grande étendue. Le prélèvement d’une fine bandelette de tissu kératinisé au palais de seulement quelques millimètres de large permet de réduire les suites liées à ce type de prélèvement en garantissant une cicatrisation plus rapide du site donneur, la distance étant plus courte ! La fine bandelette de tissu ainsi prélevée est amarrée au fond du vestibule afin d’y déporter la ligne muco-gingivale.
Nous vous proposons d’illustrer – par la deuxième partie du traitement du cas présenté dans le numéro 269 de Dentoscope – une solution de vestibuloplastie simple, reproductible et sans usage de substituts. Nous en profiterons pour exposer quelques points clés pour en rendre le résultat prédictible.
Pourquoi un aménagement tissulaire ?
Pour rappel, une hauteur de 2 mm et une épaisseur de 3 à 4 mm de tissu kératinisé sont nécessaires autour des implants (Garabeytan, Malet, Kerner, Detzen 2019 / Lin chan Wang 2019, Significance of keratinized mucosa on implant health). La présence de tissu kératinisé doit permettre une hygiène orale optimale et limiter toute inflammation gingivale afin de restreindre tout phénomène inflammatoire pouvant engendrer des pertes osseuses et compromettre à terme la réhabilitation implantaire fonctionnellement ou esthétiquement.
Pourquoi la Strip Technique ?
Tout d’abord il est important d’analyser la situation clinique initiale afin d’adapter la technique opératoire à chaque patient. Dans ce cas, nous sommes face à une patiente jeune, avec une ligne du sourire moyenne, elle ne découvre pas les collets des dents. Elle présente un phénotype parodontal fin et festonné avec des insertions musculaires plutôt proéminentes.
Cette procédure se différencie de la vestibuloplastie dite « de Kazandjian » qui, pour sa part, recrée un vestibule mais n’a aucun impact sur la nature du tissu de recouvrement. Contrairement à Urban qui emploie des matrices d’origine porcine, nous proposons de nous soustraire de leurs usages si certaines conditions sont remplies.
La technique de Kazandjian n’a pas été retenue de par son taux de récidive, récidive à laquelle nous serons confrontés au vu du jeune âge de la patiente. La multiplicité des sites à greffer nous force à optimiser les sites donneurs et à penser à la morbidité postopératoire ; ainsi nous avons éliminé la greffe épithélio-conjonctive pour retenir la Strip technique (Tableau).
Étape 1 : Le lit receveur (Fig.1 à 4)
Il est primordial de créer une étendue désépithélialisée la plus superficielle possible afin de laisser une épaisseur sous-jacente à coloniser suffisamment importante. Les cellules kératinisées vont proliférer sur cette surface périostée et recréer le nouvel environnement péri-implantaire.
Cette désépithélialisation se fait tangentiellement, en épaisseur partielle à la lame froide, bien au-delà de la zone où la bandelette sera positionnée. Les limites de la zone régénérée doivent impérativement être bordées de tissu kératinisé (Fig.3).
– Astuce n°1 : Ne pas hésiter à couper aux ciseaux l’excédent de muqueuse résiduel laissé dans le lambeau avant de le suturer au périoste (Fig.3).
– Astuce n°2 : Suturer l’extrémité distale du lambeau en tension distale et l’extrémité mésiale en tension mésiale. La résultante est un plaquage horizontal vertical du lambeau. Finaliser par une suture continue (surjet croisé) de l’extrémité du lambeau au périoste (Fig.4). Un fil tressé à résorption rapide est conseillé.
– Astuce n°3 : Réaliser, perpendiculairement, une incision horizontale jusqu’au contact osseux afin de sectionner les fibres musculaires sous-jacentes.
Étape 2 : Le prélèvement
À l’aide d’un patron, ou d’une mesure à la sonde parodontale, une bandelette de 2 à 3 mm de largeur et 2 mm d’épaisseur est prélevée au palais (Fig.5). Le site donneur est simplement suturé avec (ou non) une éponge collagénique, ou simplement protégé par une plaque palatine préparée en amont.
Fig.5 : Bandelettes de tissu kératinisé prélevées au palais.
Étape 3 : La suture
La bandelette est suturée au périoste à l’aide d’un fil monofilament non résorbable. Elle jouera un rôle crucial de barrière mécanique au repositionnement de la ligne muco-gingivale en approfondissant le vestibule.
Les extrémités sont stabilisées par des points en O simples. Elles doivent être ancrées sur du tissu kératinisé afin de créer un îlot hermétique à la prolifération de cellules issues de la muqueuse alvéolaire. Le reste de la bandelette est suturé au lit périosté par des points séparés. Un fil minofilament 6.0 non résorbable est recommandé (Fig.6 à 9).
– Astuce n°4 : Doubler les points aux extrémités afin d’assurer le cerclage.
– Astuce n°5 : Commencer par ancrer la bandelette par le centre en la tractant apicalement. Continuer les points d’ancrage dans les deux segments, l’aspect final doit ressembler à une « banane ».
– Astuce n°6 : Des points d’ancrage en croix permettent une meilleure stabilisation locale que des points en O.
Les points non résorbables sont déposés à J+14. Toutefois, les délais peuvent être augmentés pour de grandes étendues et dans de rares cas, un « peeling » à la fraise diamantée peut être indiqué dans les zones ou l’aspect semble peu kératinisé (Fig.10 et 11).
L’aspect final sera obtenu aux alentours des 12 à 14 semaines (Fig.12 à 19).
Oui mais… quand ?
La question de la temporalité semble essentielle. Avant ou après la pose des implants ? Avant ou pendant le désenfouissement ? La réponse ne saurait en revanche être seule et unique. Elle demande d’analyser la subtilité de chaque situation clinique. Il reste évident que, réalisée bien en amont, les marges de manœuvres seront importantes.
Toutefois, dans ce cas précis, les strips ont été réalisés après la pose des implants car une régénération osseuse additionnelle, type « mini-sausage » s’est avérée nécessaire. Ce besoin de re-contourage est d’ailleurs l’un des paramètres essentiels dans la prise de décision.
Que pouvons-nous apprendre de ce cas clinique ?
Il semble assez aisé d’obtenir un résultat satisfaisant sur de grandes étendues avec ce type de technique. La morbidité au palais est très limitée, ce qui lui permet de se régénérer rapidement si plusieurs secteurs sont à traiter. Néanmoins, l’intégration esthétique du tissu régénéré peut parfois laisser à désirer. C’est dans cette optique qu’Urban a proposé sa technique modifiée dite « de la bandelette vestibulaire » avec l’utilisation de tissu conjonctif exposé. Nous en rediscutons dans l’entretien « On refait le cas ! »
Auteurs
Dr Olivier Samtmann
Dr en chirurgie dentaire
Responsable du DU de chirurgie implantaire et pré-implantaire de l’université de Paris
Attaché de consultation au groupe hospitalier Paris Saint-Joseph
Pratique privée à Boulogne-Billancourt
Dr Andrea Carrie
Ancienne interne des hôpitaux de Paris
DU de chirurgie implantaire et pré-implantaire université de Paris