Rationalisation de la prescription antibiotique

Pour le Dr Mathieu Durand, il incombe aux chirurgiens-dentistes d'informer les patients sur la problématique de l'antibiorésistance. 

Propos recueillis par la rédaction, publié le 14 novembre 2023

Rationalisation de la prescription antibiotique

 

2ef0b85c7b3560201b85c7b35c501bv Dr Marc Rosemont, rédacteur en chef de Dentoscope : La pénurie d’amoxicilline peut-elle faire durablement modifier les attitudes des praticiens en termes d’antibiothérapie ?

 

 

8f42e5ad835568352e5ad83551852ev Dr Mathieu Durand, ancien attaché d’enseignement des hôpitaux de Marseille, expert médico-légal et conférencier : Les pénuries de médicaments en cours sont multifactorielles, les problèmes de production se cumulent à ceux de logistique, auxquels s’ajoutent les problèmes économiques. Les États contrôlant les prix des médicaments se voient réduire leur approvisionnement quand la rentabilité opérationnelle n’est pas au rendez-vous. La délivrance de médicaments à l’unité est probablement un bon pas en ce sens. Les praticiens vont devoir s’accommoder de cet état de fait car on parle ici d’investissements lourds qui se concrétisent sur du temps long. La prévention aura un rôle important à jouer, en effet le moyen le plus efficace pour lutter contre l’infection est encore d’éviter sa survenue. À ce titre, de plus en plus de confrères européens préconisent de considérer les traitements endodontiques comme des traitements temporaires de moyen terme que l’on se doit de surveiller. Il est remarquable que la bouche soit la seule localisation anatomique où l’on cherche à conserver des organes préalablement nécrosés… La place des soins parodontaux doit ainsi monter en puissance, quand on connaît l’incidence des pathogènes associés sur l’état de santé général et sur la santé buccale en particulier. La rationalisation de la prescription antibiotique telle que je l’ai proposée prend alors tout son sens.

Comment la profession peut-elle réagir face à l’usage intensif des antibiotiques et mieux sensibiliser les patients ?

La présence de résidus antibiotiques dans l’eau et la nourriture est un fait avéré. En soit, nous en sommes tous en partie responsables. Cela dit, la responsabilité en première ligne incombe aux gouvernements et aux industriels. L’innovation constante en matière d’élevage et de cultures plus résistantes aux bactéries, et nécessitant donc moins de traitements, doit être favorisée et non pas freinée, dans un environnement réglementaire qui sera attentif et favorable à la recherche.  La prescription antibiotique de confort, que ce soit pour le patient ou pour le praticien, est une pratique très ancrée partout sur la planète. De plus, en odontologie la récurrence des pathologies infectieuses entraîne parfois le sentiment que l’automédication est justifiée. Il nous incombe d’établir le dialogue avec nos patients sur ce sujet, afin de leur faire prendre conscience qu’aucun médicament n’est anodin. Cela demande du temps et de la pédagogie et si nous ne manquons pas de cette dernière, le temps fait défaut à toute la profession… Tout comme pour les pharmaciens en leur temps, l’acte de consultation qui comprend diagnostic et prescription doit de toute évidence être mieux valorisé.

Comment faire face à une résistance bactérienne et quel dialogue peut-on établir avec le patient ?

Je pense que la plupart des antibiorésistances ne sont en fait pas diagnostiquées ! Qui n’a jamais été confronté à un abcès ” récurrent ” malgré un traitement convenable et une prescription antibiotique appropriée ? La spécificité de notre métier fait que souvent le traitement sera une conjonction entre acte mécanique, technique et médicamenteux. L’un de ces actes pourra emporter la victoire, sans qu’on puisse précisément savoir lequel.  La désinfection par l’ozone pourrait également s’avérer une piste prometteuse pour nos sites contaminés, mais elle est à ce jour peu répandue. Parfois la réalisation d’actes différés par rapport à la survenue de la maladie bactérienne sera malheureusement la seule option, ouvrant la voie aux techniques de reconstruction plus lourdes. En face d’une résistance avérée, le gradient thérapeutique tel que je l’ai proposé sera la solution privilégiée. Toutefois, en cas de résistance à chaque palier de traitement, j’enjoins les confrères à requérir une prise en charge hospitalière dans les services de maladies infectieuses, et également à la signaler sur le site du ministère de la Santé et de la prévention (1).

(1). Portail de signalement des événements sanitaires indésirables.