Dentistes à l’aube de l’Empire
La notion de formation et celle de compétence laissent la place à la liberté d'entreprendre et de concurrence
En mai 1768, l’article 126 des lettres patentes sur l’art dentaire en France dispose que pour exercer cette spécialité, il faut avoir été reçu « expert pour les dents » par le Collège de chirurgie à la suite d’épreuves théoriques et pratiques.
« Art. 128 : Seront reçus lesdits experts en subissant deux examens en deux jours différents dans la même semaine, ils seront interrogés le premier jour sur la théorie et le second sur la pratique des dits exercices. S’ils sont jugés capables dans ces examens, ils seront admis à ladite qualité d’expert en payant des droits et en prêtant serment entre les mains de notre Premier chirurgien ou de son lieutenant. »
Par le décret d’Allarde (loi des 2 et 17 mars 1791), la Constituante supprime les corporations et proclame le libre exercice de toutes les professions. Son article 7 dispose qu’il « sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon ; mais elle sera tenue de se pourvoir auparavant d’une patente, d’en acquitter le prix suivant les taux ci-après déterminés et de se conformer aux règlements de police qui sont ou pourront être faits. »
La loi Le Chapelier du 14 juin 1791 durcit le ton. Comme le précise l’historien François Vidal, « n’importe qui, s’il a une patente qu’il aura payée au préalable, pourra, du jour au lendemain, exercer la médecine, se dire chirurgien, se dire dentiste. Ce sera la porte ouverte à des abus sans nombre. » La notion de formation et celle de compétence laissent la place à la liberté d’entreprendre et de concurrence. Cette loi contribue, avec celle du 18 août 1792, à la dissolution de l’Université et des facultés de médecine, au nom du libre exercice, sans obligation d’avoir fait des études médicales ou d’avoir un diplôme, jusqu’à celle créant les écoles de santé de Paris, Montpellier et Strasbourg, le 4 décembre 1794. L’art dentaire est abandonné au charlatanisme. L’historien Philippe Caron (1995) ajoute : « La loi de l’an III va aussi permettre le contrôle des empiriques. La commission d’instruction publique réunie le 13 vendémiaire an VI, décide que tous ceux qui exercent actuellement l’art de guérir, sans avoir été reçus dans les formes prescrites par les lois anciennes, seront tenus de se présenter dans les trois mois devant un des jurys ou devant une des écoles de Paris, Montpellier ou Strasbourg, pour y subir les examens. Les élèves reconnus capables recevront un certificat ou diplôme signé par les examinateurs. »
Tous les anciens médecins, chirurgiens et experts pour les dents, voient leurs diplômes reconnus. Cette loi profite aux charlatans qui reçoivent un statut de praticien « légitime ». Pour pallier les carences établies par la loi de 1794, le député (et chimiste) Fourcroy parvient à faire voter une loi en mars 1803, qui impose à ceux qui souhaitent exercer la médecine d’« être examiné et reçu dans l’une des six écoles de santé ». Ayant satisfait à cet examen, le lauréat portera le titre de docteur en médecine ou en chirurgie. Le dentiste n’est nulle part mentionné dans ces deux lois. De fait, il sera à l’abri de toutes poursuites judiciaires pour les vingt-trois années qui suivront la loi de 1794. De nombreux « experts pour les dents » en profitent pour devenir des officiers de santé, créant ainsi un conflit d’intérêts entre « les médecins-dentistes et les dentistes patentés » qui ne prendra fin qu’en 1892, avec la loi Brouardel qui donne enfin un vrai statut aux dentistes français.
(1) Qu’il aura payée au préalable.