« Il faut sortir de l'idée que la prévention serait un acte à perte »
Pour le Dr Alexandre Gambiez, la prévention est une alliance thérapeutique entre le praticien et le patient.

Le Dr Alexandre Gambiez, formateur en hygiène bucco-dentaire, exerce au Luxembourg.
Le patient ne perçoit plus son dentiste comme un réparateur, mais comme un partenaire de santé.
Pourquoi la prévention peine-t-elle encore à s’imposer au cabinet ?
Dr Alexandre Gambiez : Deux freins majeurs persistent. Le premier est économique : tant que la nomenclature ne reconnaît pas pleinement des actes comme les consultations d’hygiène, il est difficile pour les praticiens de dégager du temps ou de l’espace pour les structurer. Mais le vrai verrou est culturel. La prévention n’a pas toujours été intégrée à notre formation initiale. Moi-même, je n’ai vraiment compris son importance qu’en travaillant avec Adrien Senioris, notamment pour notre dernier ouvrage (Hygiène orale – De la théorie à la clinique) *. Beaucoup de confrères n’ont ni les outils, ni les réflexes pour détecter les besoins préventifs chez leurs patients. Cela dit, les choses évoluent : on reçoit de plus en plus de messages de praticiens qui veulent s’y mettre. C’est un signal encourageant.
Ce virage modifie-t-il la posture du praticien ?
Absolument. Le patient ne perçoit plus son dentiste comme un réparateur, mais comme un partenaire de santé. Le praticien devient pédagogue, guide, référent sur le long terme. Mais cela suppose aussi d’impliquer le patient. Aucun soin ne tient si l’hygiène ne suit pas. La prévention, c’est une alliance thérapeutique.
Comment intégrer la prévention sans déséquilibrer le modèle économique du cabinet ?
Il faut sortir de l’idée que la prévention serait un acte à perte. Une séance d’hygiène, bien conduite, demande peu de matériel. Je facture au temps passé, avec une logique horaire (entre 200 et 250 € de l’heure au Luxembourg). Et je l’intègre souvent dans un bilan parodontal global, ce qui est pris en charge. En France, c’est plus difficile, mais c’est possible avec un peu de pédagogie : expliquer au patient qu’un quart d’heure passé ensemble aujourd’hui lui évitera des soins lourds demain. Certains sont réticents, mais la majorité comprend.
Concrètement, comment se déroule une consultation d’hygiène chez vous ?
Je commence par demander au patient quand il s’est brossé les dents. Puis j’applique un révélateur de plaque pour objectiver le biofilm. Ensuite, je lui montre sa bouche, on corrige les gestes : brossage, brossettes, fil. Le patient pratique lui-même pendant la séance. Il repart avec ses recommandations, ses références produits, presque comme une ordonnance. C’est simple, efficace, et souvent très bien accepté.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune praticien ?
Ne pas avoir peur. 90 % des patients sont réceptifs si on explique bien. Et c’est gratifiant : une relation plus fluide, une meilleure observance, un environnement de travail plus agréable. On gagne en confort autant qu’en pertinence. Il y a aujourd’hui beaucoup de ressources pour se former et de nombreux praticiens engagés. Il suffit de commencer.
* Publié aux éditions CDP.