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Démarche écoresponsable en cabinet dentaire

Les observations et projections des scientifiques sont unanimes. Nous sommes face à des défis majeurs en termes de santé-environnement. Les modes d’exploitation, de production et de consommation développés depuis le début de l’ère industrielle se heurtent à présent au fait évident qu’un développement infini mené selon une vision court-termiste ne peut avoir lieu sur une planète aux ressources finies. La dégradation continue des systèmes naturels de la Terre est un danger pour la santé de tous les humains et met en péril les progrès de santé publique historiquement récents et relativement précaires. Face à cette catastrophe écologique et ses conséquences sanitaires, nous avons tous et toutes un pouvoir d’agir et les professionnels de santé ont un devoir d’agir. L’intégration d’une démarche écoresponsable est une des réponses de terrain positive qu’il nous appartient de développer.

Le dépassement des limites planétaires compromet les conditions de vie et de bien-être

L’humanité et l’ensemble du vivant est en train de franchir une à une les limites du système planétaire telles que le dérèglement climatique, la pollution de tous les milieux – air, eau, sols – ou le taux d’effondrement de la biodiversité [1]. Nos modes de vie et de production « modernes » ont pour conséquences l’émergence de nouvelles maladies infectieuses, dont 60 % sont des maladies vectorielles ou zoonoses engendrées par la pression anthropique exercée sur les écosystèmes, telles que Covid-19, Ebola ou variole du singe (ONU, 2016). À cela s’ajoute la progression de l’épidémie de maladies chroniques en France et dans le monde (OMS, 2006), telles que diabète, cancers, maladies cardio-vasculaires. Ces causes et leurs conséquences nécessitent une réponse urgente et à la mesure de ces enjeux.

Les professionnels de santé ont un rôle prépondérant à jouer dans cette réponse pour inscrire leurs activités dans le cadre de promotion de la santé planétaire : prendre soin dans le respect des limites planétaires équitablement d’un point de vue social, intergénérationnel et en considérant l’ensemble du vivant [2].

Les professionnels de santé engagés pour une santé durable

En tant que secteur économique en charge de la santé, du bien-être et des soins dispensés à la population et contributeur significatif de l’empreinte écologique nationale, le secteur de la santé et ses professionnels sont doublement concernés par les défis actuels à relever. En effet, les services de santé par eux-mêmes représentent un impact environnemental non négligeable. Selon la récente évaluation réalisée par le think-tank The Shift Project, le système de santé représente 6 à 8 % des émissions de gaz à effet de serre nationales.[3] Les activités de santé représentent par ailleurs une consommation significative et croissante des ressources, liées notamment à l’engouement pour l’usage unique, une importante source de pollutions chimiques et le rejet massif de déchets [4].  De plus, de par son rôle d’acteur de santé publique et de promoteur de la santé environnementale, et parce qu’il n’y a pas de santé humaine dans un environnement dégradé, le professionnel de santé se doit d’être exemplaire dans la démarche de protection des écosystèmes. Ainsi, il nous appartient d’être ambassadeur du changement attendu en étant exemplaire et en communiquant de manière positive autour de pratiques plus vertueuses.

Dans le secteur de la médecine bucco-dentaire, la « green dentistry » – ou dentisterie verte – fait l’objet d’articles scientifiques depuis le début des années 2000 et d’une accélération des publications internationales ces dernières années avec notamment le travail remarquable de l’équipe du Dr Brett Duane réalisé dans le cadre de la dynamique « Net Zero », pour une neutralité carbone du service de santé britannique en 2040, lancée par le National health service (NHS) [5] [6]. En France, plusieurs initiatives individuelles et collectives voient le jour telles que la publication par l’Association dentaire française (ADF) du Guide du cabinet de santé écoresponsable en 2021 [7].

Prendre soin de l’environnement pour la santé de chacun

L’intégration de la démarche écoresponsable au sein du cabinet dentaire répond aux enjeux écologiques actuels et également aux enjeux sanitaires que sont la protection de la santé de l’équipe soignante, de la santé des patients par l’intégration d’une démarche de sobriété chimique, par exemple, ou la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, à l’origine du changement climatique. La protection des écosystèmes étant elle-même la garante de la santé des générations futures. C’est une vraie dynamique gagnant-gagnant en co-bénéfices qui s’installe et qui vient notamment renforcer la durabilité de la structure elle-même en favorisant les économies financières grâce entre autres aux économies d’énergie et à la réduction du gaspillage (Fig.1). C’est aussi l’occasion d’étudier, en plus des stratégies d’atténuation de l’impact environnemental précédemment évoquées, les stratégies d’adaptation. Celles-ci supposent l’anticipation et la mise en œuvre de comportements en adéquation avec les nouvelles règles du jeu dictées par les risques environnementaux. Les professionnels de santé et les structures de soins seront ainsi à même de développer leurs capacités de résilience et de pérenniser leur exercice.

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Fig.1 :  Les trois piliers de la santé durable dans les pratiques de santé. D’après Baras, 2022 [8].

Par où commencer ?

La première étape de la démarche écoresponsable est tout simplement sa formalisation appuyée par l’affirmation de nos valeurs de professionnels de santé. Dans un secteur où les contraintes professionnelles sont déjà nombreuses, l’intégration des considérations écologiques au sein des structures de soins dentaires doit être efficace. L’évaluation du poids environnemental de l’activité qui y est menée est également une étape incontournable. Elle permet d’éviter les actions superflues ou contreproductives. Le ciblage et l’évaluation des postes à impact permettent d’appréhender les mesures matérielles et organisationnelles à adopter au quotidien. Créer et manager un tableau de bord de la démarche et des écogestes est un outil à considérer. Il favorise l’observation des progressions et des réussites mais aussi la communication et la valorisation de toutes les actions entreprises auprès des personnes concernées par la démarche. Il est important d’avoir une approche systémique pour évaluer l’impact écologique que peut représenter l’activité menée classiquement en cabinet dentaire, notamment via l’appréhension de l’ensemble des flux entrants et sortants du cabinet.

Parmi les principaux postes à impact figurent :

  • les consommations d’énergie nécessaires au fonctionnement et à l’usage du bâtiment ainsi que les consommations d’eau ;
  • le transport des personnes qui se rendent au cabinet pour y travailler, se faire soigner, accompagner ou encore dans le cadre de prestations de services ;
  • les activités numériques et le stockage de données ;
  • l’achat des biens spécifiques à l’exercice tels que les dispositifs médicaux et autres produits de santé et non spécifiques comme les consommables et le mobilier de secrétariat et de la salle d’attente ;
  • le rejet des déchets et leur traitement dont les éléments rejetés dans les eaux usées ou effluents et l’air intérieur du cabinet.

Les outils et pistes d’action, qu’elles soient spécifiques ou non au secteur d’activité de la chirurgie dentaire, sont nombreuses. Elles peuvent être déployées de manière transversale et intégrées à la stratégie de gestion globale des cabinets dentaires. La prévention et la promotion de la santé doivent tenir une place importante dans la démarche. La baisse de la demande de soins permet de réorienter les ressources vers celles et ceux qui en ont le plus besoin.

Comment progresser ?

L’attitude à adopter est celle de la sobriété, selon l’adage « Moins mais mieux ». Pour maîtriser les consommations d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre, les écogestes et équipements choisis doivent favoriser la sobriété ou l’économie de l’énergie et de l’eau, que ce soit pour le fonctionnement du cabinet dentaire et des installations, les transports des personnes ou encore les activités numériques professionnelles. Au moment de la conception du cabinet ou de sa rénovation, le choix de systèmes énergétiques performants et renouvelables, de matériaux biosourcés et locaux ainsi que l’optimisation de l’isolation du bâtiment et la mise à profit de son environnement naturel sont autant de sujets à explorer.

L’intégration de critères responsables lors de l’achat des biens et services est un maillon essentiel dans la démarche globale de réduction de l’impact environnemental du cabinet dentaire. Ces critères peuvent concerner des biens et services écolabellisés, les conditions de fabrication d’un produit, son lieu de production ou encore sa composition intrinsèque. Il peut s’agir par exemple d’éviter l’achat de produits présentant un danger avéré pour les organismes aquatiques ou contenant des perturbateurs endocriniens.

Concernant la gestion des déchets, son optimisation suppose avant tout d’en limiter le volume en maîtrisant la consommation des matières premières et du gaspillage. Une bonne gestion des stocks, la remise en question du tout usage-unique ou le réemploi d’équipements selon le contexte du cabinet font partie des pistes à développer. Une fois cette première étape mise en œuvre, il s’agit de limiter le gaspillage des ressources jetées et la pollution générée par le traitement des déchets via notamment un geste de tri adapté et l’utilisation raisonnée de la filière déchets d’activité de soins à risque infectieux ou DASRI en dehors des objets piquants coupants tranchants (OPCT) et déchets anatomiques.

Face aux défis environnementaux actuels, les mesures susceptibles de maîtriser l’impact des activités de santé tout en garantissant la qualité et la sécurité des soins sont nombreuses. Pour un développement significatif et pérenne de la démarche, la réponse nécessite l’engagement de l’ensemble des parties prenantes de la chirurgie dentaire [9] : praticiens, assistants dentaires, prothésistes, universitaires et organismes de formation, fabricants et fournisseurs, syndicats et associations, ministères et agences de santé et l’ensemble des acteurs et actrices de ce secteur peuvent et doivent y concourir.

Auteur

Dr Alice BARAS

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Chirurgien-dentiste

Professionnelle et formatrice en santé durable Ecops Conseil.

Auteure du Guide du cabinet de santé écoresponsable (Presses EHESP, 2021).

Auteure principale du dossier ADF Démarche écoresponsable au cabinet dentaire (2021).

Co-auteure du rapport Décarboner la santé (The Shift project, 2021).

Bibliographie

[1] Persson, L., et al. (2022). Outside the Safe Operating Space of the Planetary Boundary for Novel Entities. Environ. Sci. Technol. 56, 3, 1510-1521.

[2] Whitmee, S., et al. (2015). Safeguarding human health in the Anthropocen epoch: report of the Rockfeller foundation-Lancet commission on Planetary Health. The Lancet, 386/10007, 1973-2028.

[3] Marrauld, L., et al., (2021). Décarboner la santé pour soigner durablement. The Shift Project.

[4] Sherman J.D. Et al. ” Reducing pollution from the health care industry ” Jama, 322 (11) : 1043-1044 (2019).

[5] Bhagyalakshmi A. et al., (2013). Going green with eco-friendly dentistry. J Contemp Dent Pract ; 4 (4) : 766-9.

[6] Duane, B., et al., (2017). An estimated carbon footprint of NHS primary dental care within England. How can dentistry be more environmentally sustainable? British Dental Journal, 223, 589 – 593.

[7] Association dentaire française (2021). Démarche écoresponsable au cabinet dentaire. Dossier ADF.

[8] Baras, A., (2022). Agir pour la santé planétaire en intégrant une démarche écoresponsable dans les pratiques de santé : une expérimentation française en cabinet dentaire. International Health Trends & Perspectives. 2(3), SI: 27-47.

[9] Duane, B., et al. ” Sustainability in Dentistry: A Multifaceted Approach Needed “, JDR, Volume: 99 issue: 9, 998-1003 (2020).