Dysmorphoses associées à des déséquilibres fonctionnels

L'orthodontie fonctionnelle, en ciblant les causes sous-jacentes permet d'agir sur la croissance faciale tout en améliorant les fonctions essentielles.

Dr Olivier Setbon, publié le 05 mai 2025

Dysmorphoses associées à des déséquilibres fonctionnels

Présentation de la patiente

Âge et dysmorphose : Celina T, 4 ans et 9 mois présentant une classe II droite et classe III gauche avec un inversé d’occlusion antérieur et un bout à bout droit.

Antécédents médicaux : aucun antécédent médical connu. La jeune patiente n’a pas d’allergies connues ni de problème ORL.

Motif de consultation : bilan orthodontiste demandé car inversé d’occlusion.

Examen clinique

L’examen clinique révèle une déviation légère du point inter-incisif mandibulaire, un inversé d’occlusion antérieur et des relations de bout à bout droit. On note une ventilation mixte à prédominance buccale et donc une langue basse avec l’impact que l’on peut voir sur l’occlusion statique et dynamique :

– incoordination des arcades dentaires,

– latérodéviation mandibulaire.

Diagnostic

Classe III gauche avec dysfonction linguale et ventilation à prédominance buccale.

Plan de traitement

1. Traitement initial

Choix de l’appareil : utilisation d’une gouttière d’éducation fonctionnelle type EF kid (Orthoplus) puis au plus tôt EF Classe III petit (Orthoplus).

Protocole

– Port minimum 2 heures par jour la semaine et plus encore le week-end et toutes les nuits.

– Exercices myofonctionnels.

* Exercices de ventilation nasale avec fermeture labiale complète.

* Rééducation linguale avec repositionnement de la langue au palais.

* Renforcement des muscles buccaux.

2. Protocole de suivi en orthodontie fonctionnelle

Première année : suivi régulier avec une consultation toutes les 8 semaines.

Fig.1a, b, c, d, e : Celina 4 ans et 9 mois, avant traitement.

Objectifs

– Contrôler l’adaptation de l’appareil.

–  Ajuster le dispositif si nécessaire.

– Renforcer la motivation et l’observance du patient.

– Vérifier la coopération : port de la gouttière jour et nuit selon les recommandations, exercices bien effectués quotidiennement.

– Vérification de l’état de l’appareil.

– Attention, le choix de l’appareil évolue avec le patient : lorsque Celina est revenue à des relations dentaires de classe I, après l’EF classe III, nous avons opté pour l’EF T Slim.

Deuxième année : espacement des consultations à tous les 4 mois.

– Objectifs

* Vérifier la progression du traitement en termes de correction de la malocclusion initiale.

* Maintenir l’engagement du patient dans le traitement.

Troisième année et au-delà : contrôles de suivi tous les 6 mois.

– Objectifs

* S’assurer de la pérennité des corrections obtenues.

* Détecter et anticiper d’éventuelles récidives.

* Valider la fin du traitement ou programmer des finitions avec un multiattaches.

Évaluation fonctionnelle

Contrôle des progrès dans la respiration nasale

– Initialement, la gouttière d’éducation fonctionnelle tombait fréquemment durant la nuit. Avec le temps et les exercices faits quotidiennement, son port s’est stabilisé. Progressivement, la gouttière a été maintenue durant toute la nuit.

– Cela témoigne de l’installation d’une ventilation nasale efficace et d’une pleine acceptation de l’appareil.

Collaboration pluridisciplinaire

Dans ce cas, il n’y a pas eu besoin d’une prise en charge pluridisciplinaire, la patiente ne présentant ni allergie, ni symptomatologie ORL, ni trouble de la phonation.

Clé du succès : établir un diagnostic précis grâce à une observation clinique complète pour différencier l’essentiel de l’accessoire, définir les examens complémentaires et travailler en équipe avec différentes spécialités si nécessaire.

Les parents dans l’équipe

Mobilisation des parents sur l’importance du port de l’appareil jour et nuit et la régularité des exercices.

Prendre régulièrement des photographies pour suivre l’évolution du traitement, ce qui permet de motiver le patient et les parents en leur montrant les changements progressifs.

Résultats

Amélioration de l’occlusion : classe I dentaire et correction de l’inversé d’occlusion.

Changements fonctionnels

– Passage à la ventilation nasale.

– Développement d’une déglutition physiologique correcte.

– Sourire harmonieux.

Retour des parents : très contents du sourire de leur fille, ils rapportent une adolescente qui a confiance en elle.

Discussion

Ce cas clinique met en lumière l’importance de la prise en charge précoce des dysmorphoses associées à des déséquilibres fonctionnels. Grâce à une observation clinique complète qui permet d’avoir le juste diagnostic, l’orthodontie fonctionnelle, en ciblant les causes sous-jacentes (ventilation buccale, déglutition atypique, langue basse ou posture incorrecte) permet d’agir sur la croissance faciale tout en améliorant les fonctions essentielles.

L’approche utilisée, combinant un dispositif d’éducation fonctionnelle et des exercices myofonctionnels, a démontré son efficacité dans la correction progressive des déséquilibres. La coopération parentale et l’implication du patient dans le suivi ont été des facteurs clés dans l’amélioration des résultats observés.

Fig.2a, b, c : 17 mois de suivi.

Diversité des méthodologies

Dans la littérature scientifique, les différentes études ne parviennent pas toujours aux mêmes conclusions, mettant en évidence la diversité des méthodologies et des interprétations des résultats. Cette hétérogénéité souligne la complexité du sujet et la nécessité d’une analyse critique des données disponibles.

Ainsi pour Harrison et coll, de la méta-analyse Cochrane datant de 2007, les preuves suggèrent que la mise en place d’un traitement orthodontique précoce chez les enfants présentant une proalvéolie maxillaire n’est pas plus efficace qu’un traitement orthodontique unique réalisé au début de l’adolescence.

Pour Gipch, la correction d’une malocclusion de classe II ne se limite pas aux déplacements dentaires, mais implique également le traitement des causes sous-jacentes afin de prévenir les récidives. Cette approche repose sur la restauration des fonctions oro-faciales grâce à la rééducation, permettant de rétablir un fonctionnement normal, un processus qui devient plus difficile avec le temps en raison des engrammes cérébraux. En conséquence, le traitement ultérieur en denture adulte est à la fois simplifié et raccourci. De plus, l’amélioration des fonctions joue un rôle clé en empêchant l’installation ou l’aggravation des dysmorphoses.

Pour Bergeyron et al., cité par Camille Ledent, « Lors de dysmorphoses […] des mâchoires, la croissance osseuse se dévie mais aussi la croissance musculaire, d’où l’apparition de dysfonctions qui vont entretenir la » mauvaise croissance « , c’est la spirale dysmorpho-fonctionnelle : plus on redresse jeune, plus vite on arrête la spirale. »

O’Brien et al., dans leur étude multicentrique visant à évaluer l’efficacité des traitements précoces, met en évidence qu’un traitement précoce favorise une meilleure estime de soi et diminue les expériences sociales négatives. L’aspect esthétique et l’image de soi constituent des facteurs essentiels à prendre en compte chez les enfants en pleine construction de leur personnalité. On retrouve les mêmes résultats pour Dimberg et al.

Fig.3a, b, c : 38 mois de suivi.

Fig.4 a, b, c: 49 mois de suivi.

Fig.5 a, b, c : Fin du traitement d’orthodontie fonctionnelle, juste avant les finitions avec aligneurs.

Fig.6a, b, c : Quatre ans après les finitions avec aligneurs.

Selon les recommandations de bonnes pratiques publiées par la Fédération française d’orthodontie (FFO) en septembre 2022, les gouttières d’éducation fonctionnelle constituent une option thérapeutique recommandée pour la prise en charge des malocclusions de classe II division 1. Cette indication concerne en particulier les jeunes patients en phase de croissance, période au cours de laquelle il est possible d’influencer favorablement la croissance maxillo-faciale. L’intervention précoce permet d’optimiser les résultats thérapeutiques, notamment en cas de surplomb excessif, de dysfonctions persistantes ou de situations à risque, telles qu’un traumatisme incisif lié à une exposition excessive des dents antérieures (50 % des traumatismes dentaires ont lieu entre 8 et 10 ans).

Gouttières fonctionnelles

Le principe d’action des gouttières fonctionnelles repose principalement sur une double approche orthopédique et fonctionnelle. Sur le plan orthopédique, elles favorisent la stimulation de la croissance mandibulaire en repositionnant la mandibule vers l’avant, ce qui permet de réduire progressivement le décalage sagittal entre les arcades maxillaire et mandibulaire (ou bien serait-ce juste un effet dento-alvéolaire ?). Sur le plan fonctionnel, elles participent à la rééducation des fonctions oro-faciales en influençant la posture linguale et en incitant à une mastication bilatérale alternée. L’intégration de ces dispositifs dans un protocole de traitement précoce contribue également à une amélioration de la ventilation nasale, en facilitant l’élargissement des voies aériennes supérieures.

Compte tenu de leur impact sur l’ensemble du système maxillo-facial, l’efficacité des gouttières fonctionnelles dépend de multiples facteurs, parmi lesquels la motivation et l’adhésion du patient et de son entourage jouent un rôle clé. Une coopération insuffisante peut compromettre les bénéfices du traitement et augmenter les risques de récidive après l’arrêt du port de l’appareil. Un suivi régulier et rigoureux par l’orthodontiste, parfois en collaboration avec d’autres spécialistes tels que l’orthophoniste, le kinésithérapeute ou l’ORL, permet de maximiser les résultats et de renforcer la stabilité à long terme des corrections obtenues. Ces dispositifs peuvent être utilisés de manière isolée ou en complément d’autres approches orthodontiques, comme les forces extra-orales ou les traitements multi-attaches fixes, en fonction du profil de croissance et de la sévérité de la malocclusion. En l’absence d’un protocole standardisé unique, une individualisation du traitement est nécessaire, nécessitant une évaluation clinique approfondie et des examens radiologiques adaptés pour déterminer le moment optimal d’intervention et ajuster la prise en charge au cas par cas.

Lorsque les dysfonctions persistent au-delà d’un certain âge, une prise en charge adaptée devient indispensable afin de restaurer un équilibre harmonieux entre les structures musculaires et squelettiques. Une rééducation fonctionnelle, associée à l’utilisation d’appareils de guidage d’éruption, d’éducateurs fonctionnels ou de gouttières spécifiques, permet de limiter l’installation des dysmorphoses et de guider l’éruption des dents permanentes dans de meilleures conditions.

Réduction du surplomb

Les données épidémiologiques ont mis en évidence une corrélation entre un surplomb incisif excessif (> 6,1 mm) et la présence d’habitudes oro-faciales dysfonctionnelles telles que la succion non nutritive, qui concerne environ 6,3 % des enfants âgés de 6 à 8 ans. L’élimination précoce de ces habitudes et la correction des déséquilibres fonctionnels associés contribuent ainsi à réduire progressivement le surplomb et à améliorer la stabilité du traitement orthodontique. Parmi les dispositifs les plus couramment utilisés en denture mixte, qu’elle soit précoce ou tardive, on trouve les appareils de guidage d’éruption et les plans de morsure antérieurs, qui permettent une correction plus progressive et mieux intégrée dans le développement de l’enfant.

Bien que l’efficacité de ces approches sur la réduction du surplomb ait été démontrée, le mode d’action précis des appareils fonctionnels reste sujet à débat. Plusieurs mécanismes semblent intervenir simultanément, notamment des modifications des tissus mous péri-oraux, incluant une réorganisation musculaire autour des arcades dentaires. On observe ainsi un repositionnement des lèvres et des joues, une amélioration posturale de la lèvre inférieure, ainsi qu’une redistribution des forces intermaxillaires influençant l’activité des muscles masticateurs et les rapports occlusaux. Ces ajustements se traduisent à terme par des modifications dento-alvéolaires notables et notamment un repositionnement des incisives maxillaires et mandibulaires.

L’ensemble de ces éléments souligne l’intérêt des traitements précoces en orthodontie fonctionnelle, qui permettent non seulement d’optimiser les résultats squelettiques et dentaires, mais aussi de favoriser une meilleure intégration des fonctions essentielles à l’équilibre du développement maxillo-mandibulaire. Une prise en charge précoce et adaptée offre ainsi des bénéfices à la fois sur le plan morphologique, fonctionnel et respiratoire, justifiant l’importance d’une évaluation minutieuse et d’un suivi attentif tout au long de la croissance du patient.

Conclusion

En conclusion, ce cas clinique illustre comment l’intégration d’une approche fonctionnelle globale permet non seulement de corriger une malocclusion dentaire mais aussi de rétablir l’équilibre des fonctions oro-faciales : la croissance a repris ses droits et le patient évite ainsi un futur traitement orthodontie complexe.

Auteur

dysmorphose

Dr Olivier Setbon
Dr en chirurgie dentaire
Spécialiste qualifié en orthopédie dento-faciale
Exercice libéral
Expert en orthodontie fonctionnelle

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