Comment la biochimie et la neurophysiologie interviennent dans la rééducation de la déglutition
Dr. Patrick Fellus est un spécialiste qualifié, ancien Attaché Consultant des Hôpitaux de Paris. Le passage de la succion-déglution à la déglutition de type sujet denté doit intervenir spontanément entre 3 et 4 ans, mais les informations génétiques ne s’expriment pas systématiquement et il faudra alors engrammer le nouveau programme soit par voie corticale soit par voie sous-corticale. Quels sont les modes d’actions biochimiques activés.
Mots clefs : déglutition, mémoire à court terme, mémoire procédurale.
La succion-déglutition, mode physiologique pour avaler la salive chez le jeune enfant, est une praxie qui s’est élaborée in utero au niveau du tronc cérébral. Elle restera physiologique tant que la denture lactéale ne s’est pas constituée et que la mastication n’est pas installée. Mais à partir de l’âge de 4 ans, un nouveau programme de déglutition se met en place naturellement par voie sous corticale chez 60% des enfants : la déglutition de type sujet-denté.
Par les forces musculaires qu’elle engendre, elle favorisera une croissance optimale des maxillaires.(4) Mais les facteurs endogènes ou innés ne mettent en place que des potentialités. “Elles ne s’exprimeront que si des conditions exogènes adéquates interviennent en temps opportun” (JP Changeux).(1)
Deux causes principales sont à l’origine du maintien de la succion déglutition :
– l’enfant n’a jamais eu l’occasion de découvrir ce nouveau mode de fonctionnement
– il l’a découvert, mais le système limbique, passage obligé pour l’engrammation d’un nouveau programme, ne l’a pas retenu, généralement pour des raisons d’ordre psychologique (immaturité, pouce, tétine, biberon, nourriture trop molle).
C’est dans cet échantillon que l’on retrouve la plupart des enfants nécessitant un traitement orthodontique.
La rééducation des fonctions oro-faciales est donc une nécessité admise par presque tous les praticiens lors de la conduite d’un traitement orthodontique, mais il est nécessaire de bien connaître la neuro-anatomie ainsi que la physiologie pour avoir des résultats reproductibles et contrôlables.
Comment modifier une praxie ?
– la normalisation des arcades dentaires réalisée lors du traitement orthodontique peut entrainer par voie sous corticale une modification spontanée des fonctions orofaciales.
– utiliser des appareils dit fonctionnels, à porter généralement la nuit, destinés à modifier la posture linguale ; mais les résultats resteront aléatoires, tant que les commandes de la dysfonction ne seront pas inhibées, sans compter que le port de ces dispositifs, souvent vécu difficilement par l’enfant, ne passeront pas toujours le barrage du système limbique.
– faire appel aux professionnels tels qu’orthophonistes ou kinésithérapeutes.
Il faudra que dans un premier temps l’enfant prenne conscience du geste qu’il effectue puis du geste qu’il doit effectuer, la répétition devant permettre l’automatisation. Il y a une augmentation de l’activité des neurotransmetteurs au niveau des synapses concernées mais on reste dans le domaine de la mémoire à court terme.(8)
“La mémoire ne repose pas sur les propriétés des cellules nerveuses en tant que telles mais sur la nature des connexions entre neurones et leur manière de traiter l’information sensorielle reçue”. Apprendre va consister à tracer de nouveaux circuits, cette plasticité se fera soit en remaniant les programmes existants soit en en créant de nouveaux.
Remanier les circuits existants
La compréhension du passage de la mémoire à court terme à la mémoire à long terme a été éclairée par les travaux réalisés par Kandell sur l’aplysie en reconstituant un circuit nerveux simplifié, un unique neurone sensitif, connecté à un seul neurone moteur :
– Une stimulation légère libère des neurotransmetteurs au niveau de la synapse, le noyau n’est pas concerné nous sommes dans la mémoire à court terme (séances d’orthophonie hebdomadaires). Cette information ne restera disponible que pendant un temps assez court.
– Si les stimulations se répètent dans un temps rapproché, va se créer un dialogue entre la synapse et le noyau de manière à activer les CREB* et produire une nouvelle protéine, indispensable au passage à la mémoire à long terme. Cette nouvelle protéine CPEB** présente dans la synapse fonctionnera comme un prion et assurera la transmission du message de manière permanente.
*CREB (Cyclic AMP Response Element-Binding Protein) protéine qui active les gènes responsables de la mémoire à long terme. CREB 1 est activateur CREB 2 inhibiteur.
**CPEB:(Cytoplasmic Polyadenynalation Element-Binding Protein) protéine régulatrice de la transcription dans la synapse qui contribue à la stabilisation de la mémoire à long terme.
Créer de nouveaux circuits
Un état fortement émotionnel peut court-circuiter les contraintes normales et produire une quantité suffisante de molécules de MAP-kinase* qui seront envoyées vers le noyau pour inactiver les molécules CREB-2** et faciliter l’activation de CREB-1** et l’impression directe de cette expérience dans la mémoire à long terme.
*MAP-kinase : agit en conjonction avec la protéine kinase A, afin d’amorcer la mémorisation à long terme.
Froggymouth est un dispositif qui, porté 15 minutes par jour durant un temps assez court et devant un écran de télévision (reconnu comme récompense par le système limbique), va obliger l’enfant à découvrir un nouveau mode de déglutition par voie sous-corticale, donc non pas en stimulant l’activité des neurotransmetteurs mais en créant de nouvelles synapses.
En effet, ne pouvant plus serrer les lèvres il sera dans l’impossibilité d’avaler en succion, par aspiration entre bouche antérieure et bouche postérieure, d’où une réaction brutale et immédiate au niveau du tronc cérébral : trouver un nouveau programme de déglutition.
Ce nouveau programme de déglutition sera immédiatement intégré dans la mémoire à long terme par la création d’un nouveau circuit neuronal. Mais il ne s’agit là que de la première étape, qui sera nécessaire mais pas suffisante pour passer à l’automatisation.
L’automatisation
L’enfant disposera alors de deux programmes pour avaler sa salive et tout comme sur un ordinateur lorsque l’on dispose de deux programmes c’est l’activation de l’une ou de l’autre icône qui déclenchera son exécution.
L’icône de la succion-déglutition est activée par le nerf facial : “mes lèvres sont contractées, mes dents ne se touchent pas”.
L’icône de la déglutition de type sujet denté : “mes lèvres sont détendues, mes molaires en occlusion” est activée par le trijumeau qui permettra non seulement l’occlusion molaire mais aussi la protection de la langue contre les morsures grâce à la richesse des terminaisons nerveuses trigéminées de sa couverture épithéliale.
Le thérapeute devra donc surveiller la posture de repos pour obtenir la détente de la musculature péri-orale et l’occlusion dentaire au moment de la déglutition. Le contrôle par le nerf trijumeau, sollicité lors de cette étape, se substituera au contrôle par le nerf facial et inhibera le rôle de ce dernier. Cette nécessité d’inhibition du mauvais circuit est fondamentale dans l’automatisation du bon programme. Seul Froggymouth permet cette double action. Le trijumeau qui contrôle aussi les centres de la respiration dans le tegmentum pontique par son noyau sensitif, favorisera une restauration de la respiration nasale, permettant à la langue d’adopter une posture haute de sa partie postérieure (dôme lingual).
“Cette double nécessité fonctionnelle linguale postérieure et occlusale, trop souvent oubliée par les rééducateurs des fonctions oro-faciales est vraisemblablement une des causes des trop fréquents échecs des rééducations” (Delaire).(5)
Le contrôle pourra être transféré aux parents qui devront 3 fois dans la journée regarder la posture labiale et féliciter ou corriger l’enfant. Ces deux actions ne sont pas similaires, faisant intervenir des boucles cortico-corticales qui passent par les ganglions de la base, et des boucles cortico-corticales qui passent au niveau du cervelet.
Contrairement à ce que les orthophonistes proposent ce n’est pas sur la partie apicale de la langue qu’il faut porter l’attention de l’enfant mais sur la partie postérieure. Obnubilé par la recherche sensitive de la papille rétro-incisive l’enfant risque d’ériger l’apex lingual, entraînant un abaissement de la partie postérieure qui interdira la mise en jeu du styloglosse, muscle élévateur du dôme lingual. (6)
Le port de Froggymouth pourra être indiqué dès l’âge de 4 ans pour corriger les dégâts de la tétine et faciliter le sevrage si les déformations ne sont pas trop importantes, sinon au cours du traitement par appareillage fonctionnel en denture mixte ou lors d’un traitement mécanique à l’adolescence.
Amélioration spontanée de béances incisives après le port de Froggy Mouth durant un mois. Le port de Froggymouth à partir de 3 ans ne présente aucune contre indication.
Reprise de traitement pendant un mois avec uniquement FroggyMouth suite à une récidive de traitement orthodontique antérieur.
Bibliographie
(1) CHANGEUX Jean-Pierre L’homme neuronal Fayard 1983
(2) COULY Gérard Les oralités humaines Doin 2010
(3) COULY Gérard Oralité du fœtus Sauramps Médical 2015
(4) FELLUS Patrick Orthodontie précoce en denture temporaire Cdp 2003
(5) FELLUS Patrick, SABOUNI Waddah, LALAUZE-POL De la dysfonction à la dysmorphose Apport de Froggymouth Edition Orthopolis 2016
(6) FOURNIER Marvonne, GIRARD Marion Acqusition et maintien des automatismes en rééducation maxillo-faciale Orthodontie Francaise 2013 ; 84 : 285-294
(7) GUYTON Arthur Neurosciences Piccin 1996
(8) KANDEL Eric A la recherche de la mémoire Odile Jacob 2011