Faut-il ou non s'associer ?
Il est d'usage de comparer l'association au mariage. Et se marier nous engage dans la durée pour le meilleur comme pour le pire ! C'est la raison pour laquelle la décision d'intégration d'un associé ne doit pas être prise à la légère.

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Avant toute association, il faut définir vos objectifs : que voulez-vous ? que recherchez-vous dans une association ? Pourquoi envisagez-vous de vous associer ? Quels sont pour vous, dans votre cas de figure bien précis, les avantages et inconvénients liés à l’intégration d’un associé ?
En effet, il ne faut jamais perdre de vue la finalité des choses. C’est le cas du Docteur Paro, qui a bâti un magnifique cabinet doté d’un plateau technique performant. La surface dont il dispose est confortable et la secrétaire, assistée des deux assistantes réservent un accueil de qualité aux patients du cabinet. La contrepartie de ce service haut de gamme en est le coût. C’est pourquoi, un des premiers critères motivant l’association demeure la mutualisation de son outil de travail, le partage des frais de fonctionnement de son cabinet. Ce n’est pas par amour de son prochain que l’on choisit en général de s’associer ! D’où le succès de la société civile de moyens (SCM) si fréquemment rencontrée chez les chirurgiens-dentistes et orthodontistes. Tout en permettant aux praticiens de diviser leurs frais fixes, elle présente l’avantage de préserver leur indépendance. Si les dépenses sont mutualisées, le chiffre d’affaires reste propre à chacun. Si en prenant de l’âge, le Docteur Paro souhaite ralentir son rythme de travail, cela reste son problème et non celui de son associé. Les clés de répartition des frais de fonctionnement de la SCM doivent être établies de façon équitable et inscrites dans un règlement intérieur. Elles doivent être mûrement réfléchies en amont afin d’éviter des conflits potentiels entre associés. Moins vous mettez de frais en commun, moins vous aurez de pommes de discorde avec vos confrères. Pourquoi la SCM a-t-elle rencontré un tel succès chez les professions libérales en général ? C’est parce que nous sommes avant tout des libéraux et que nous estimons que notre indépendance n’est pas négociable. Il faut bien reconnaître que nous avons tendance à être parfois assez individualistes dans nos comportements et attitudes. Nous n’aimons pas nous laisser dicter par un autre la marche à suivre.
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©Getty Images/iStockphoto
Pouvoir compter sur son associé
Il n’y a pas que des considérations purement financières qui poussent le Docteur Paro à vouloir s’associer. En cas d’absence, de congés, de maladie, de coup dur de la vie, le Docteur Paro ne sera plus seul. Les investissements dans de nouveaux matériels, l’embauche de personnel supplémentaire et le positionnement du cabinet en termes d’offre de services seront discutés à plusieurs en fonction de la stratégie définie au sein du cabinet.
Dans une SCM, contrairement à la société d’exercice libérale (SEL), les praticiens conservent leur capacité à contractualiser de façon individualisée. Exemple : si le Docteur Paro souhaite acquérir un Cerec et son associé non, rien n’empêche le Dr Paro d’acheter son propre équipement. Si le Docteur Paro estime avoir besoin d’une assistante supplémentaire, rien n’oblige à ce que cette dernière soit recrutée par la SCM. Pour cette raison, nous retrouvons aujourd’hui de plus en plus de SEL associées de SCM, afin de préserver l’indépendance de chacun tout en mutualisant un socle commun.
Attention aux désaccords
Si la SCM permet de limiter les zones de friction, il n’en demeure pas moins que des sujets de désaccord liés à l’association peuvent naître : concurrence grandissante entre les associés, écarts significatifs de chiffre d’affaires entre les membres ayant un impact sur les clés de répartition des frais, tensions sur l’allocation réelle des assistantes aux praticiens, orientation des patients par la secrétaire sur des critères personnels et subjectifs… La vie d’associé n’est donc pas un long fleuve tranquille. Comme au sein d’un couple, des conflits peuvent surgir. Les parties devront alors faire preuve de sagesse et discernement pour résoudre leur problème en privilégiant l’intérêt supérieur du cabinet. Le Docteur Paro, chirurgien-dentiste expérimenté, a bien conscience de ces risques inhérents à toute association, mais pour lui la création d’un cabinet de groupe permettra de développer un avantage concurrentiel par rapport à ses confrères et aux centres dentaires.
À plusieurs, l’inflation croissante du coût des plateaux techniques pourra être plus rapidement amortie. Le groupe de praticiens pourra présenter à ses patients une offre globale de soins en s’appuyant sur des spécialités pratiquées par chacun : implantologie, parodontologie, omnipratique, esthétique… Comment vouloir maîtriser toutes ces techniques lorsque l’on est seul ? La formation prend du temps et entraîne des pertes de production, la phase d’apprentissage peut être plus ou moins longue. L’intégration de ces différents domaines au sein d’une même structure permet de conserver la valeur créée au sein du groupe et d’éviter des déperditions vers des tiers.
Mais le Docteur Paro sait également qu’en s’associant à d’autres confrères, il ne sera plus seul décisionnaire, que les choix seront désormais faits à plusieurs quelle que soit la forme juridique choisie. Les frais de structure peuvent alors grimper et les process se complexifier, entraînant des pertes de productivité à une époque où il vaut mieux courir avec des semelles légères qu’avec des semelles de plomb.
Le choix du/des associé(e) s
Comme le dit le vieil adage, il vaut mieux parfois être seul que mal accompagné ! En effet, nous rencontrons bon nombre de praticiens qui s’associent pour ne plus être seul et vont parfois vite en besogne. La recherche d’un associé doit être opérée selon des critères rationnels : existe-t-il une complémentarité entre mon activité et celle de mon confrère ? partageons-nous la même vision ? Est-il un « bon » professionnel ? nos caractères sont-ils compatibles ? quels sont les objectifs de chacun ? quels sont les intérêts respectifs des parties prenantes ? quels seront les rôles et domaines de compétence de chacun au sein de la future organisation ? mon futur associé a-t-il une vie personnelle stable ?… autant de questions qu’il vaut mieux se poser avant le mariage et qui combinent à la fois des critères techniques et humains.
Mais apprendre à connaître l’autre prend du temps, c’est pourquoi il faut toujours prévoir une « période d’essai » comme pour un salarié. La collaboration libérale constitue un excellent moyen de tester les compétences médicales et relationnelles de son associé potentiel.
Oscar Wilde avait coutume de dire : « Quelque grief qu’on ait contre le mariage, on ne saurait lui refuser d’être une expérience »…
Dentistes à l’aube de l’Empire
En mai 1768, l’article 126 des lettres patentes sur l’art dentaire en France dispose que pour exercer cette spécialité, il faut avoir été reçu « expert pour les dents » par le Collège de chirurgie à la suite d’épreuves théoriques et pratiques.
« Art. 128 : Seront reçus lesdits experts en subissant deux examens en deux jours différents dans la même semaine, ils seront interrogés le premier jour sur la théorie et le second sur la pratique des dits exercices. S’ils sont jugés capables dans ces examens, ils seront admis à ladite qualité d’expert en payant des droits et en prêtant serment entre les mains de notre Premier chirurgien ou de son lieutenant. »
Par le décret d’Allarde (loi des 2 et 17 mars 1791), la Constituante supprime les corporations et proclame le libre exercice de toutes les professions. Son article 7 dispose qu’il « sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon ; mais elle sera tenue de se pourvoir auparavant d’une patente, d’en acquitter le prix suivant les taux ci-après déterminés et de se conformer aux règlements de police qui sont ou pourront être faits. »
La loi Le Chapelier du 14 juin 1791 durcit le ton. Comme le précise l’historien François Vidal, « n’importe qui, s’il a une patente qu’il aura payée au préalable, pourra, du jour au lendemain, exercer la médecine, se dire chirurgien, se dire dentiste. Ce sera la porte ouverte à des abus sans nombre. » La notion de formation et celle de compétence laissent la place à la liberté d’entreprendre et de concurrence. Cette loi contribue, avec celle du 18 août 1792, à la dissolution de l’Université et des facultés de médecine, au nom du libre exercice, sans obligation d’avoir fait des études médicales ou d’avoir un diplôme, jusqu’à celle créant les écoles de santé de Paris, Montpellier et Strasbourg, le 4 décembre 1794. L’art dentaire est abandonné au charlatanisme. L’historien Philippe Caron (1995) ajoute : « La loi de l’an III va aussi permettre le contrôle des empiriques. La commission d’instruction publique réunie le 13 vendémiaire an VI, décide que tous ceux qui exercent actuellement l’art de guérir, sans avoir été reçus dans les formes prescrites par les lois anciennes, seront tenus de se présenter dans les trois mois devant un des jurys ou devant une des écoles de Paris, Montpellier ou Strasbourg, pour y subir les examens. Les élèves reconnus capables recevront un certificat ou diplôme signé par les examinateurs. »
Tous les anciens médecins, chirurgiens et experts pour les dents, voient leurs diplômes reconnus. Cette loi profite aux charlatans qui reçoivent un statut de praticien « légitime ». Pour pallier les carences établies par la loi de 1794, le député (et chimiste) Fourcroy parvient à faire voter une loi en mars 1803, qui impose à ceux qui souhaitent exercer la médecine d’« être examiné et reçu dans l’une des six écoles de santé ». Ayant satisfait à cet examen, le lauréat portera le titre de docteur en médecine ou en chirurgie. Le dentiste n’est nulle part mentionné dans ces deux lois. De fait, il sera à l’abri de toutes poursuites judiciaires pour les vingt-trois années qui suivront la loi de 1794. De nombreux « experts pour les dents » en profitent pour devenir des officiers de santé, créant ainsi un conflit d’intérêts entre « les médecins-dentistes et les dentistes patentés » qui ne prendra fin qu’en 1892, avec la loi Brouardel qui donne enfin un vrai statut aux dentistes français.