VIH: 5 conseils de communication sur l’infection

Inculquez à votre équipe la discipline préventive

En tant que chirurgien-dentiste, il est de « votre responsabilité » d’éviter toute contamination au cabinet, martèle le Dr Christian Winkelmann, vice-président de l’ONCD et président du pôle « Patients », que la contamination au VIH soit directe (infection contractée lors d’un contact entre le praticien et le patient), ou indirecte (infection croisée, si des dispositifs médicaux souillés sont utilisés lors d’un soin). Le conseiller ordinal rappelle donc que « le personnel doit être formé par le praticien pour respecter les consignes » , soit les recommandations en matière d’hygiène, d’asepsie et de gestion des déchets au cabinet dentaire. L’ONCD et la Direction générale de la santé (DGS) les mentionnent dans 7 fiches, très didactiques1 : la désinfection des mains par friction avec un produit hydro-alcoolique ; les précautions standard, les mesures d’hygiène de base à appliquer par tous les praticiens et leurs assistant(e)s et pour tous les patients ; la conduite à tenir en cas d’accident d’exposition au sang ou aux liquides biologiques ; la gestion des déchets d’activités de soins ; la stérilisation ; le traitement des dispositifs médicaux ; la désinfection chirurgicale des mains. Ces règles valent pour tout patient. Pour le Dr Paul Azoulay, « l’équipe doit considérer que chaque patient est un malade potentiel. Moi je les considérais tous comme sidéens. Partant de ce principe, on prend toutes les précautions nécessaires, quelle que soit la personne. Je pense que c’est acquis au sein de la profession ». Acquis ou pas, ça va mieux en le répétant. N’hésitez pas à rabâcher ces consignes. Vous pouvez aussi les afficher : « Moi je les mettais dans ma salle de stérilisation » , se souvient le Dr Winkelmann.

Informez vos patients des risques

Vous êtes en première ligne dans la prévention des infections sexuellement transmissibles. C’est à vous qu’il revient de communiquer auprès des patients sur le risque de contamination orale ; de diffuser l’idée que la bouche peut être victime et vectrice d’IST ; de lutter contre la « banalisation des actes », du fait des avancées de la médecine ; de faire « reculer les idées stupides, telles que la fellation n’est pas un acte de pénétration, que ce n’est ni tromper ni faire l’amour, qu’il n’y a pas de risque », si elle prodiguée sans préservatif, affirme le Dr Manon Bestaux, omnipraticien en libéral et sexologue au CHU de Rouen, passablement agacée par ce discours. Elle fait remarquer: « Le préservatif, c’est un choix. Les gens le mettent ou pas, ils font ce qu’ils veulent, mais il y aura des conséquences, c’est tout. C’est comme le ski hors-piste. Vous êtes libre de vous y adonner, mais ce n’est pas sans danger. » Comment prémunir vos patients ? « Travaillez en amont » , via la prévention, conseille l’omnipraticienne, aussi présidente du Conseil régional de l’Ordre des chirurgiens-dentistes de Haute-Normandie. Elle est pour la « franchise dans le dialogue », avise « d’oser », de « mettre les pieds dans le plat ». Quand le cas semble à risque, elle n’hésite pas à faire entendre le risque de contamination et à donner le conseil du préservatif systématique, balayant le commentaire « ça a le goût du caoutchouc » d’un revers de main, en évoquant les différentes saveurs existantes. Évidemment, souligne-t-elle, le message doit être adapté à chacun, car « en dentaire comme en sexo, chaque patient est différent » . Enfin, n’hésitez pas à saisir les opportunités : « C’est par exemple lors des bilans bucco-dentaires effectués à 18 et 24 ans qu’il faut parler de préservatif ! » pour le Dr Bestaux, qui souhaiterait que les chirurgiens-dentistes, à l’instar des médecins généralistes, prescrivent2 ce petit bout de latex.

Invitez-les à se faire dépister si nécessaire

Il se peut que votre patient ne soit pas infecté. Qu’il ne soit pas au courant de son infection. Ou qu’il soit infecté mais ne vous en fasse pas part, c’est fréquent3. Il n’est pas obligé de le faire. « Le patient n’est jamais obligé, souligne le Dr Winkelmann. Néanmoins, c’est recommandé. Au cours de mes 40 ans d’exercice,  seuls trois patients m’ont fait part de leur séropositivité. Le dossier médical partagé (DMP) devrait améliorer les choses en permettant d’avoir accès au dossier du patient, sans trop avoir à le solliciter », estime le conseiller ordinal. Quelle que soit la configuration, il y a un moment crucial : l’anamnèse. C’est là que vous pourrez déceler d’éventuels problèmes. D’abord via un « questionnaire médical sérieux4, préétabli. À mon cabinet, tous les patients — sidéens ou non — y passaient. Tous, sauf les cas d’urgence » , raconte le Dr Azoulay. Puis, via l’observation clinique. En fonction des informations que vous récoltez, des symptômes cliniques que vous

constatez, vous pouvez orienter vers un dépistage. « Il ne faut pas tout de suite dire : ” Mon dieu, vous avez le sida “, prévient le Dr Winkelmann, d’autant que certains signes sont trompeurs. Il faut y aller sur la pointe des pieds. » « Moi je délirais tout le temps avec mes patients pour qu’ils se sentent bien, narre le Dr Azoulay. Alors quand j’observais quelque chose de suspect, j’introduisais la bombe en fin de consultation, car ce n’est pas possible de l’annoncer à froid : ” Il serait peut-être bon d’aller voir un dermato, car il y a des petites choses qui m’embêtent…” En cas de nouveau patient, si celui-ci est très sensible, peureux, vous pouvez attendre une séance. L’essentiel, c’est que vous soyez provocateur de la consultation. » Ayez conscience que votre rôle est essentiel : un diagnostic précoce augmente les chances du patient et contribue à enrayer l’épidémie.  

Bannissez les refus de soins

Discriminatoires, « les refus de soins sont en général d’ordre économique : patients bénéficiaires de la CMU, de l’AME » , note le vice-président de l’ONCD. Néanmoins, il arrive que certains praticiens refusent des patients pour raisons de santé. En 2015, il était ressorti d’une opération de testing 5 — réalisée par l’association Aides —, que plus de 30 % des cabinets opposaient un refus direct (3,6 %) ou déguisé (30 % — Le patient est découragé par des horaires contraignants, réorienté vers un service hospitalier…) aux patients déclarant leur séropositivité. Le bureau du conseil national s’était alors mobilisé pour condamner ce comportement, rappelant que « nul ne peut faire l’objet de discrimination dans l’accès à la prévention et aux soins » et que les « chirurgiens-dentistes qui ne respectent pas ce principe fondamental, légal et déontologique, s’exposent à des poursuites, tant devant les juridictions disciplinaires, que pénales »6. « Aujourd’hui, il n’y a aucune raison objective de refuser un patient atteint du VIH ou porteur d’une autre maladie sexuellement transmissible. Le refus de soins est injustifié, et injustifiable », clame le Dr Winkelmann, qui a pris le relai sur ce dossier, en tant que président du Pôle Patients, mais aussi de la commission de refus de soins (créée en 2017). « Avec le temps qui passe, la plupart des praticiens — il y a toujours des exceptions — ont compris qu’il n’y avait aucun risque ni pour le praticien, ni pour son assistante dentaire, ni pour les patients. Ou alors, c’est reconnaître qu’il n’y a pas les conditions d’hygiène et la stérilisation requises », poursuit- il. Et de déplorer : « Ces refus de soins, s’ils n’existaient pas, nous aurions tous notre part de patients à risque, que ce soient les porteurs du VIH, les personnes handicapées, les personnes âgées, les précaires etc. Tous ces patients à risque, chronophages, seraient répartis entre nous. »

Suscitez l’adhésion

De manière générale, « pénétrer une bouche n’est pas anodin », rappelle le Dr Manon Bestaux, invitant à réfléchir à l’intrusion de nos actes. Elle fait valoir qu’il « faut un certain courage pour venir consulter, montrer son dedans, couché ». Pour le Dr Azoulay, c’est encore plus vrai quand on est malade : « Tous les patients, quand ils vont chez le dentiste, sont fragilisés. Mais celui qui est malade est doublement atteint : psychologiquement et physiquement. » « Du fait de leur histoire, de leur vie, les patients porteurs du VIH sont souvent plus isolés et plus vulnérables », abonde le Dr Christian Winkelmann. La prise en charge doit donc être globale. N’oubliez pas que vous soignez des êtres humains. « Certains praticiens sont trop mécaniques, déplore Paul Azoulay. Or si le patient a une enveloppe corporelle, il a aussi des sentiments, des craintes, des peurs. » Pour susciter « l’adhésion du patient » , dont dépend « la qualité de l’alliance thérapeutique, indispensable à la pérennité des traitements », affirme le Dr Bestaux, il faut que vous cultiviez certaines qualités. Les trois praticiens s’accordent sur les termes suivants : « respect » , « considération », « empathie ». Autant de termes qui doivent s’incarner dans votre communication verbale et non-verbale avec les patients, infectés ou non. Les patients porteurs du VIH doivent être mis en situation « d’être soignés comme les autres, pour le président du pôle “Patients” à l’ONCD, convaincu de la nécessité d’intégrer tout le monde : les précaires, les trisomiques, les porteurs du VIH…, de ne pas les marginaliser. Le patient porteur du VIH est un patient comme un autre. Mais pour moi, il a besoin d’encore davantage d’affection, d’empathie », conclut-il.

Petite histoire
De l’importance de la confiance

Le Dr Christian Winkelmann a été convié à une réunion sur le thème des soins dentaires aux porteurs du VIH, organisée par l’association de patients Actions Traitements7. À l’issue de cette rencontre, le vice-président de l’Ordre a reçu une lettre d’un des patients présents. Il s’interrogeait sur l’opportunité, ou non, d’une pose d’implant, proposée par son chirurgien-dentiste. Dans sa réponse, le conseiller ordinal a évoqué l’importance du lien de confiance qui lie le patient à son praticien. Il lui a notamment répondu : « S’il vous propose un implant, c’est qu’il estime que votre organisme est à même de le supporter. Il faut lui faire confiance. Lui seul vous connaît et est donc capable d’évaluer les risques. »

«  La bouche, l’autre victime des MST »

Lors de la conférence inaugurale du congrès de l’ADF, en novembre dernier, le Dr Sarah Cousty, chirurgien-dentiste au CHU de Toulouse, avait évoqué le sujet suivant : « la bouche, l’autre victime des MST ». L’occasion de rappeler, notamment, que le VIH n’est pas la seule IST à avoir des manifestations oro-buccales. Il y a aussi la syphilis, le papillomavirus humain (HPV), ou encore l’herpès.