Le cabinet « d’après » : maximiser vos chances de réussite

Les chirurgiens-dentistes évitent bien souvent les ostentations. Une entorse à ce noble comportement est désormais fortement conseillée. « Ils peuvent montrer à leurs patients qu’ils ont pris des mesures pour sécuriser leurs cabinets », appuie le Dr Marc Roché, président de la Société Odontologique de Paris. Pour ce passionné qui exerce depuis près de quarante ans à Rueil-Malmaison, cette crise est l’occasion de valoriser la profession. Premièrement auprès des patients, en leur rappelant que les praticiens sont des experts de l’asepsie et qu’ils vont encore élever leur niveau d’exigence. « Nos changements doivent être visibles. Le port de visière de protection, de surblouse et les nouveaux protocoles de prises en charge mettent en lumière nos efforts. Ils rassurent les patients, profitons-en. » Deuxièmement, en rappelant aux pouvoirs publics le rôle que peuvent jouer en matière de santé publique les chirurgiens-dentistes.

Faites-vous entendre

« La SOP que je préside a écrit au président de la République. Nous lui avons rappelé qu’à aucun moment, nous avons entendu les mots qui créditent notre métier d’une existence officielle parmi les professionnels de santé. Or nous sommes en première ligne. Nous souhaitons par conséquent disposer de moyens de dépistage qui permettent d’appréhender la réalité de la pandémie. Nous ne voulons pas travailler à l’aveugle et dans la peur. » Le Dr Roché considère que les pouvoirs publics ont l’opportunité de s’appuyer sur les chirurgiens-dentistes en leur confiant une mission de dépistage à visée préventive au moyen de tests salivaires et sérologiques. Ces derniers permettent d’obtenir un résultat en quinze minutes environ, un délai compatible avec l’organisation interne des cabinets. Logiquement, la SOP demande que cet acte de dépistage et de prévention soit intégré à la nomenclature par les Caisses d’assurance maladie et les mutuelles.

D’une manière générale, le Dr Roché interroge le modèle de santé actuel. « Cette crise va conduire à une restructuration de notre système. Il faudra en profiter pour dialoguer avec les autorités. Nous ne pouvons pas continuer à raisonner exclusivement par le prisme des tarifications à l’acte. Pourquoi ne pas envisager des forfaits pour le traitement des maladies chroniques par exemple ? En réalité tout le monde en sortirait gagnant. De même, une réflexion doit véritablement s’engager sur la création du métier d’assistante de niveau 2 qui s’apparente aux hygiénistes dans les autres pays. La profession en a besoin, profitons de cette période pour nous faire entendre. »

Reconstituez votre trésorerie

Parallèlement à ces négociations à venir, il est indispensable d’assurer aujourd’hui la survie financière de son cabinet. L’une des clefs pour préserver votre trésorerie consiste à reporter l’ensemble des charges à venir.

Voilà une parfaite occasion de transformer une contrainte en opportunité. 

L’Urssaf donne la possibilité de faire varier à la baisse votre revenu professionnel prévisionnel de 2020 et par voie de conséquence de diminuer (voire d’annuler) les prochaines échéances des cotisations pour 2020. Dans le même objectif, sur votre espace personnel www.impots.gouv.fr vous pouvez annuler ou moduler vos échéances en faisant, là aussi, une estimation de vos revenus globaux pour 2020. N’hésitez pas à réduire de façon significative le montant de vos futurs prélèvements. Si la situation sanitaire évolue favorablement dans les mois à venir engendrant une augmentation de votre bénéfice, il vous suffira de modifier à la hausse l’estimation de vos revenus 2020 pour éviter une pénalité.
Depuis des années vous travaillez avec le même équipe-mentier ? C’est donc le moment de lui rappeler ces liens de confiance historiques. Vous pourrez sans doute facilement différer vos paiements de crédit ou de leasing. Plusieurs entreprises proposent déjà des aménagements financiers « spécial coronavirus ». Et si les liens de confiance ne suffisent pas, replongez-vous dans vos contrats. Le report des échéances jusqu’à six mois sans aucun frais de gestion et de dossier est souvent contractuel.

Pensez aux PEG

Pour remettre à flot votre trésorerie, la CARCDSF est un allié à ne pas négliger. Le ministre de la Santé et le Gouvernement ont donné leur accord au versement d’une aide exceptionnelle de 4 500 € défiscalisée sur trois mois et au report des cotisations 2020. Un petit soulagement pour vos finances mis à mal pendant plusieurs semaines.
Cette somme versée en trois fois (3 x 1 500 €) est normalement déjà arrivée sur vos comptes bancaires. Par ailleurs, la suspension des cotisations 2020 a été validée pour seulement trois mois mais un éventuel prolongement de trois mois sera décidé fin juin par la tutelle.
Si malgré le report de l’ensemble des charges mentionnées ci-dessus, vous anticipez une trésorerie dans le rouge pour les mois à venir, tournez-vous vers les Prêts garantis par l’État (PGE) (voir encadré). Vous pouvez en souscrire un jusqu’au 31 décembre d’un montant maximum de 25 %de votre chiffre d’affaires annuel. Attention, son coût est variable suivant les établissements bancaires.
S’il paraît compliqué de demander un PGE à un autre établissement bancaire que le vôtre, l’assurance de votre prêt peut en revanche être prise dans l’organisme de votre choix. Faites donc jouer la concurrence.

Raisonnez comme un entrepreneur

Le Dr Edmond Binhas voit dans cette crise une période propice au changement, « les inconvénients peuvent être transformés en opportunités ». Pour le fondateur de la Binhas Global Dental School, les praticiens ont tout à gagner à faire évoluer leur logiciel cognitif. « Pour commencer, en sortant de cette idée que plus un cabinet reçoit de patients, plus il est productif. Ce n’est pas vrai, et ce qui importe est d’augmenter sa productivité horaire. Pour cela, il faut réduire le nombre de patients reçus par heure. » Cette stratégie de regroupement des actes sur des rendez-vous aux durées allongées séduit généralement les praticiens qui l’adoptent. Les avantages sont nombreux : moins de fatigue, moins de stress, moins de perte de temps entre les rendez-vous, moins de mouvement dans le cabinet, moins de stérilisation, etc. « Voilà donc que ce que nous prônons depuis des années est désormais inscrit dans les recommandations de l’Ordre national de la profession ! Pour des raisons sanitaires bien entendu, les cabinets doivent laisser un quart d’heure entre chaque patient. Voilà une parfaite occasion de transformer une contrainte en opportunité », explique le spécialiste de la réorganisation des cabinets dentaires. Le Dr Binhas invite ainsi ses confrères à mettre à profit leur temps « hors fauteuil » pour penser de manière optimale leur plan de traitement notamment en sortant d’une logique de soin dent par dent. « Après la gestion du motif de la visite, un bilan complet donnera naissance à plusieurs options de traitement. L’objectif est de regrouper les actes mais aussi de travailler au séquençage du plan de traitement, c’est-à-dire à sa mise en œuvre optimale. Plus les séances sont longues, plus le patient sera satisfait et plus les phases de production le sont aussi. Faire appel à une assistante pour du travail à quatre mains augmente encore l’efficacité. »
En conclusion, il encourage les chirurgiens-dentistes à raisonner comme des chefs d’entreprise et à ne pas se laisser submerger par les émotions, « l’anxiété épuise, la seule manière de s’en défaire est de sortir le nez du guidon pour savoir où on va ». 

Denis_Krief

 3 questions à Dénis Krief

Quel regard portez-vous sur l’épisode Covid-19 ?
Parmi les professionnels de santé, les dentistes ont été frappés sévèrement suite à la fermeture de leurs cabinets. Ceux qui ont le mieux résisté sont ceux qui avaient mis en place une structure juridique adaptée qui leur a permis d’avoir une réserve de trésorerie disponible.

C’est-à-dire ?
La SEL permet à tous les libéraux de profiter d’une structure juridique similaire aux sociétés commerciales. Elle est aussi un moyen intelligent de préparer la transmission de l’activité et le départ en retraite puisque la société pourra réaliser une entrée au capital d’un nouvel associé puis une transmission progressive des parts sociales. Le passage en SEL est possible par deux techniques :

– apporter le fonds libéral au capital social de la nouvelle société ce qui autorisera une politique de distribution de dividendes plus libre et moins coûteuse ;

– le professionnel vend le fonds à la SEL, il en reste propriétaire car il est aussi le gérant de la structure mais cette opération enrichit son patrimoine privé.

Les avantages sont aussi fiscaux…
Oui, la création d’une SEL permet de changer de régime d’imposition. Les bénéfices sont soumis au régime fiscal de l’impôt sur les sociétés, plus avantageux. Le professionnel peut séparer sa rémunération du bénéfice dégagé. Il pourra alors ne plus subir sa fiscalité au cabinet en choisissant ainsi la base de calcul en fonction de ses besoins en trésorerie. Par ailleurs, lorsqu’on approche la retraite, il y a la possibilité de faire un cumul emploi retraite, et donc de liquider ses droits à la retraite mais de poursuivre son activité professionnelle. En SEL, il suffit de baisser sa rémunération du montant de sa retraite pour maintenir son train de vie, maintenir son impôt sur le revenu et baisser l’assiette de ses cotisations sociales. L’excédent sera capitalisé dans la SEL. Cette forme juridique est donc un outil pertinent d’optimisation de sa trésorerie personnelle et professionnelle, mais il est essentiel d’avoir une vraie stratégie globale grâce à une planification financière appropriée.

(1) Formateur auprès des professionnels de santé et co-rédacteur du Guide fiscal du libéral – 2035, Selarl et SPFPL.