Le cabinet 100% numérique

À la tête d’un cabinet numérique de pointe, comprenant laboratoire de CFAO et structure de formation aux technologies numériques, le Dr Olivier Boujenah conjugue la dentisterie au futur, dans toutes ses déclinaisons.

Problématique : Quels équipements acquérir en premier ? Peut-on se former tout seul ? L’impression 3D est-elle mature, et qu’en est-il aujourd’hui des autres technologies digitales ? Quelles retombées positives pour le cabinet numérique ? Éléments de réponse avec le Dr Olivier Boujenah, installé dans le XVIe arrondissement de Paris.

 

À l’heure où nombre de praticiens hésitent encore à sauter le pas de l’empreinte optique, certains décident de s’aventurer plus avant dans les nouvelles terres numériques. Ce sont les défricheurs. Le Dr Olivier Boujenah est de ceux-là. Depuis qu’il a négocié le virage de la dentisterie digitale, cet amateur de voitures de sport n’a cessé de s’impliquer davantage dans l’accompagnement d’une transition technologique majeure, qui porte en elle de nouveaux standards de précision et de performance pour l’odontologie. Exigences qu’il met en œuvre dans son « cabinet pilote » de l’ouest parisien – qui est aussi un cabinet-école.

 

Le laboratoire est conçu comme un show-room. Tous les patients du cabinet numérique le visitent.

Panne sèche

Diplômé en 1994, le Dr Boujenah commence sa carrière comme collaborateur. Il rencontre toutefois assez tôt les limites de l’exercice. « Comme les jeunes le savent encore à l’heure actuelle, les titulaires sont parfois réticents à mettre la main au portefeuille pour du bon matériel… »

Il investit lui-même, et songe à s’émanciper. C’est chose faite en 2006 lorsqu’il rachète le cabinet qui l’accueille depuis 1995. Son premier tour de piste en libéral débute. Seul aux commandes, il modernise l’équipement de la structure. De numérique, point encore. La dentisterie digitale l’intrigue, mais il ne la pense pas encore suffisamment mature pour se laisser séduire. « Pour moi, ce n’était pas fiable. D’année en année, j’assistais avec intérêt aux présentations sur le sujet lors de l’ADF, mais tout cela restait très nébuleux », explique le praticien. Passent les jours et passent les semaines, et subitement, au bout d’une vingtaine d’années de carrière, Olivier Boujenah se rend compte qu’il perd foi en son métier. « J’ai sérieusement voulu m’arrêter, changer de profession. J’avais le sentiment d’être arrivé au bout, je m’essoufflais. »

Révolution

Sans doute dans des arcanes de silicium, un bon génie numérique veille sur la destinée du praticien, car un événement imprévu va lui donner un nouveau souffle. La scène a lieu en Allemagne, en mars 2017… Accompagnant un ami d’enfance orthodontiste à l’IDS de Cologne, le Dr Boujenah vit son printemps digital. « Un électrochoc ! Scanners, CAO, usinage, logiciels pour guides chirurgicaux… Le champ des possibles était ouvert. J’étais émerveillé. » Il repart du salon avec une caméra iTero dans ses bagages, et une nouvelle passion. À son retour à Paris, le chirurgien-dentiste fait l’acquisition d’un logiciel de modélisation, d’une petite usineuse et d’une imprimante 3D à filament qu’il installe « dans une cave de 1 m2 ». Dans cet espace réduit, les heures filent… En plein apprentissage, le praticien prend l’habitude de quitter son cabinet à deux heures du matin. « De la modélisation à l’usinage, c’était un nouveau monde », se remémore-t-il.

Un an pour tout maîtriser

S’il ne lui faut que quelques jours pour réussir à prendre ses premières empreintes optiques, une année lui sera nécessaire pour atteindre « un niveau correct » en CFAO, et maîtriser les logiciels. Pour progresser, il se documente sur le Web, visionne des vidéos tutos de dentistes américains sur YouTube, mais déplore un certain manque d’accompagnement. « J’ai beau être un geek qui adore trifouiller, j’étais seul et un peu livré à moi-même », regrette le praticien. De là naît l’idée de concevoir un plateau technique de formation pour aider ses confrères à gagner du temps. « Il reste encore plein de gens à équiper. Pour certains, ces nouvelles technologies, c’est de la science-fiction ! Il faut les rassurer. Quand le numérique va exploser, les hotlines vont être débordées. Il est important d’organiser des retours d’expérience entre dentistes pour faire avancer l’ensemble de la profession. » Baptisée Digismile, la structure ouvre ses portes en 2018.

Coaching personnalisé

Oliver Boujenah fait le choix de formations cliniques pour permettre aux participants de monter à ses côtés dans le cockpit, pendant le soin. La société est ainsi distincte, mais adossée au cabinet. « Une démonstration ne prend tout son sens qu’en conditions cliniques réelles, observe le fondateur de Digismile. Les patients qui l’acceptent sont traités en présence des confrères-élèves – trois à quatre praticiens par session. La personne soignée est reçue le matin. Son empreinte est prise, puis c’est le moment de la planification implantaire. Le guide chirurgical est imprimé ; l’implant est posé le jour même. Pareil pour les prothèses, qui sont désignées, usinées, et posées en une seule journée. Impensable il y a encore quelques années ! ». Les formations proposées recoupent tous les aspects de la dentisterie digitale, CFAO, chirurgie guidée, logiciels… Le Dr Boujenah collabore également aux programmes de formation de certaines marques du secteur, notamment d’implants avec Straumann, ou de scanners avec iTero.

Le sourire du dentiste

Venons-en au cœur du réacteur… Le cabinet et son laboratoire. Pour mesurer à quel point l’intégration du flux numérique a transformé l’exercice de notre praticien, le chemin le plus court est encore celui d’une anecdote.

« Le numérique m’a changé la vie. C’est pour cela que j’ai appelé ma plateforme de formation Digismile, qui ne se réfère pas – pour une fois – au sourire du patient, mais bien à celui du dentiste !, précise Olivier Boujenah. Je voulais insister sur ma propre expérience pour expliquer aux confrères qu’ils allaient pouvoir travailler tranquilles et ne plus être stressés comme je l’ai été pendant des années. »

Mais attention, la sérénité ne signifie pas pour autant le repos… L’odontologiste de 48 ans reçoit ses patients trois jours et demi par semaine, et partage le reste de son temps entre son activité de formateur et sa start-up de modélisation (voir encadré en fin d’article). Parfois même le dimanche ! « Et pourtant, je m’amuse tellement que je n’ai pas du tout l’impression de travailler », se réjouit-il. Le cabinet est pourvu de deux salles de soins, chacune équipée d’un fauteuil Adec. La décoration des locaux reflète les différentes passions du Dr Boujenah. Sur les murs du cabinet, les photos de voitures de collection disputent l’espace aux visuels rock. « Je n’envisage pas un soin sans musique, il y a des enceintes dans chaque salle. Ce matin, la musique s’est arrêtée en pleine chirurgie… Heureusement, mon assistante Nadège était là pour relancer le morceau ! » (rires).

 

Coupés sport, Beatles époque Sergent Pepper’s, et dentisterie digitale, cette salle de soins donne à voir trois des plus grandes passions du praticien !

Coupés sport, Beatles époque Sergent Pepper’s, et dentisterie digitale, cette salle de soins donne à voir trois des plus grandes passions du praticien !

Dentisterie en streaming

Le cabinet offre un large éventail d’actes, de l’implantologie aux traitements par aligneurs. « Je ne faisais pas d’orthodontie avant de passer au numérique. Mais grâce au flux digital, j’ai intégré très facilement les soins Invisalign à ma pratique », indique le dentiste parisien. Chaque patient est scanné dès sa prise en charge pour un suivi d’évolution accessible à tout moment, à la faveur d’un archivage dans le cloud.

« C’est magique de pouvoir travailler sur n’importe quel cas en direct, n’importe où, et dans n’importe quelles circonstances ! »

Au moyen de solutions logicielles de comparaison de scans, il est possible d’observer si la gencive a diminué, de mesurer l’érosion dentaire, etc. Autre fonction intéressante, l’une des caméras iTero acquise par le praticien permet de détecter les caries proximales à des stades précoces, invisibles à l’œil humain. « Un avantage pour la prophylaxie. » Avoir un laboratoire à disposition autorise également une dentisterie à la demande pour répondre immédiatement à toutes les situations :

« Si un patient de passage se présente, je peux lui faire un onlay pour le lendemain – et cela arrive très fréquemment, observe le Dr Boujenah. S’il y a un problème de casse, je peux refabriquer dans la journée et avoir exactement la forme que je veux, qui s’adaptera toujours parfaitement. Même cinq ans plus tard, j’ai le fichier – je refabrique. Je pense que dans l’avenir il faudra au moins une imprimante 3D dans chaque cabinet pour un service optimal en cas d’urgence. » La satisfaction du « fait maison » est également maximale. « Le plaisir de poser une prothèse qu’on a soi-même fabriquée n’est pas mesurable. »

Productivité optimisée

Pour une plus grande liberté thérapeutique, le Dr Boujenah a fait le choix d’un exercice hors convention qui lui permet d’utiliser des matériaux innovants, tout en restant rentable malgré le nombre relativement faible de patients accueillis chaque jour – en moyenne six. Depuis la mise en place du laboratoire au sous-sol de son cabinet, il a vu sa productivité décupler. « Nous perdions auparavant énormément de temps à renvoyer des prothèses mal ajustées. Il n’y a plus de pertes de rendez-vous. La teinte ne convient pas ? On corrige immédiatement. »

Autre atout dans la manche de la dentisterie numérique : la prédictibilité du résultat. Les techniques avancées de visualisation permettent d’augmenter le taux d’acceptation des devis. Après scan facial intégral, le patient peut voir comment la prothèse va s’intégrer dans son visage. « Ils n’avaient avant que la valeur de notre parole », glisse le créateur de Digismile. Conjuguées à une modélisation instantanée après empreinte, ces solutions seront renforcées par la réalisation d’une maquette de prévisualisation en résine (mock-up), pour un essayage en bouche immédiat. Contrairement aux modèles analogiques en plâtre (wax-up en cire) le moule imprimé est exactement identique au résultat final. « Quand le patient découvre son mock-up, beaucoup sont heureux à en pleurer ! C’est une très grande source de motivation pour moi. Avec le digital, plus de surprise. Aussi bien pour lui que pour moi. »

Une nouvelle image pour le cabinet

La structure pilote d’Olivier Boujenah est conçue comme un show-room. « Tous mes patients visitent le laboratoire. C’est important qu’ils puissent constater que leurs prothèses seront réalisées en local. Cela contribue à les rassurer, et justifie les tarifs. » Au-delà du coût financier direct des équipements de CFAO, « l’impact du numérique sur l’image du cabinet a été énorme, assure le praticien. Les confrères ne se rendent pas compte du nombre de patients qu’ils peuvent récupérer grâce à cela. » Une partie importante de la patientèle, relativement âgée, vient par recommandation des pharmacies avoisinantes. « Il y a souvent des problèmes d’héritage dans le quartier. Les familles sont parfois réticentes à accepter les devis de leurs aînés. Mais je prends un malin plaisir à tout faire pour redonner le sourire à des personnes âgées qui, outre des problèmes fonctionnels, ont aussi besoin d’une prise en charge esthétique. L’image de soi est importante à tout âge. Mon record : des implants sur une patiente de 98 ans ! » Le bouche-à-oreille est aussi très performant. Le cabinet reçoit fréquemment des célébrités en raison de la proximité avec la Villa Montmorency(1), ainsi qu’un certain nombre de patients étrangers. « Une actrice américaine de passage à Paris, étoile montante d’Hollywood, m’a récemment rendu visite. Mais vous n’en saurez pas plus ! », sourit le Dr Boujenah. 

(1) Périmètre privé situé sur une butte du quartier d’Auteuil. Connu pour abriter les résidences de nombreuses personnalités du show-business et du monde industriel.

Nadège, assistante dentaire, met parfois la main à la pâte au labo.

Nadège, assistante dentaire, met parfois la main à la pâte au labo.

Le parcours

C’est sur les bancs du collège, dès la sixième, que le jeune Olivier décide de devenir dentiste. « C’était au départ un rêve d’indépendance. Je voulais pouvoir m’organiser comme je l’entendais ». Diplômé de l’UFR d’odontologie de Paris V Montrouge en 1994, le Dr Boujenah débute son exercice au centre de soins de Créteil, puis devient collaborateur dans le XVIe arrondissement de Paris, dans lequel il s’installe durablement en rachetant le cabinet de son titulaire en 2006. Le praticien valide également un DU en réhabilitation chirurgicale maxillo-faciale à l’hôpital Saint-Louis et détient une attestation universitaire en implantologie de greffe osseuse intrasinusienne. Son pedigree d’entrepreneur s’étoffe en 2017 avec la création de la structure de formation Digismile, et en 2018 avec la fondation d’une start-up de modélisation de prothèses. Il est aujourd’hui membre de l’équipe pédagogique du master de dentisterie digitale à la faculté de Genève.

Autosuffisant pendant le confinement

Durant la flambée épidémique qui paralyse les cabinets dentaires du 17 mars au 11 mai, le Dr Oliver Boujenah a pu ressortir de la cave sa première imprimante 3D à filament pour fournir aux hôpitaux les masques visières et les valves de respirateur dont ils avaient cruellement besoin. « J’en ai aussi profité pour continuer à progresser sur de nouveaux logiciels. » Un confinement studieux, donc, « mais passionnant . »

Le cabinet numérique, en chiffres

80 m² la superficie
3,5 jours d’activité par semaine
3 semaines de congé
3 semaines d’attente pour un rendez-vous
6 patients reçus par jour
50 (moyenne) prothèses / couronnes posées chaque mois
1 250 € la couronne céramo-céramique
1 250 € la prothèse sur implant
1 500 € l’implant

Olivier Boujenah muni de lunettes numériques de retransmission en temps réel des images CAO.

Olivier Boujenah muni de lunettes numériques de retransmission en temps réel des images CAO.

Les conseils du praticien

Quels sont les équipements à acquérir en premier ?
« Le cone beam est devenu incontournable pour voir des pathologies impossibles à repérer sur une radio 2D. Le deuxième élément indispensable est la caméra d’empreinte numérique. Ensuite, je privilégierais directement l’imprimante 3D à l’usineuse. Elle permettra de réaliser des guides chirurgicaux, des modèles pour les mock-ups esthétiques… Dans un futur proche, il sera possible d’imprimer de nouveaux matériaux, à commencer par la céramique et la zircone ! »

 

Trois questions au Dr Olivier Boujenah : 

Le praticien est aussi le fondateur d’une plateforme digitale de modélisation de prothèses.

« Pour un dentiste équipé en CFAO, le design est l’opération la plus compliquée »

Pourquoi avoir créé design4me ?
En progressant, j’ai réalisé que l’étape de la modélisation 3D des prothèses allait être le principal frein à la généralisation du numérique dans les cabinets. Elle consiste à personnaliser la dent pour qu’elle convienne esthétiquement au visage du patient, et qu’elle soit parfaitement adaptée en termes de points de contact et d’occlusion. C’est la partie la plus critique pour le praticien car utiliser un logiciel de design dentaire nécessite, en plus d’un certain talent artistique, des compétences très spécifiques qu’il faut beaucoup de temps pour maîtriser. C’est sur la base de ce constat que l’aventure de design4me a débuté en 2018, suite à ma rencontre avec Francesco Zammillo, un prothésiste dentaire avant-gardiste. J’ai voulu créer une plateforme simple où le chirurgien-dentiste dépose son empreinte en ligne et n’a plus qu’à récupérer le fichier final pour l’imprimer ou l’usiner.

Quels sont les avantages à externaliser la modélisation ?


Il faut savoir que les logiciels de modélisation sont très onéreux : une licence coûte en effet 13 000 € ! Mais plus que ce coût d’entrée, sous-traiter le design permet de gagner un temps précieux. Plutôt que de passer au minimum une heure à modéliser deux molaires, le praticien peut récupérer une heure de travail au fauteuil. Entre les 15 euros environ de design par dent via notre plateforme, et les 250 € de moyenne horaire au fauteuil, les économies sont vite substantielles…

Quand avez-vous lancé ce service ?


Dès la fin du confinement, le 11 mai dernier. Tout un symbole ! Mais le site était en béta depuis déjà près d’un an. Nous avons aujourd’hui une centaine de clients dans le monde entier. À peu près autant de chirurgiens-dentistes que de laboratoires, pour un total d’environ 4 000 à 5 000 modélisations par mois. Il faut bien comprendre que nous n’avons pas vocation à remplacer les labos, certains nous remercient d’ailleurs chaleureusement car nous leur permettons de tenir leurs délais en les déchargeant d’une partie de leurs volumes… Ils conserveront leur cœur de métier, les dentistes n’intervenant qu’en cas d’urgence mais de manière pérenne. L’équipe compte à l’heure actuelle six prothésistes passionnés de numérique, et nous embauchons !

Dans l’oeil du laboratoire

Le Dr Boujenah peut compter sur un laboratoire de prothèse très bien équipé (imprimante 3D NextDent ; usineuses OperaSystem ; fours, etc.) qu’il alimente avec les quatre scanners dont le cabinet numérique est pourvu (trois iTero, un 3Shape). Logiciels : Bellus 3D Dental Pro (solution de visualisation avec intégration du visage du patient) ; Dental Wings (application de design du groupe Straumann).