Excuse me dentist, it’s touching me !

Cela dure depuis « des générations ». Dans « la ville », deux clans mafieux s’affrontent, le clan noir, la Kokuyokai, et le blanc, les Shinju. Les deux se détestent et se vouent une guerre sans merci. Notre histoire démarre le jour où l’héritier du premier, Kurosumi Takuma, dit « l’inébranlable », soudainement pris d’un ardent désir d’affronter ses phobies, se rend chez une praticienne dont le cabinet est situé à la frontière du territoire ennemi. Il tombe alors sous le charme de cette dernière et de son imposante poitrine. Au point de vaincre sa phobie du dentiste, certes, mais surtout celles des femmes. Sauf que la dentiste n’en est pas vraiment une : sa poitrine est fausse !

Pire encore, l’imposteur n’est autre que Shirayuki Tomori, l’héritier du clan Shinju. Alors que ce dernier profite de l’intérêt que lui prête son patient yakuza pour imaginer une porte de sortie aux luttes qui déchirent la ville et soigner au passage une bouche aux allures de « chiottes de gare », Takuma, lui, pense naïvement débuter une histoire d’amour sur le fauteuil. De quoi donner lieu à de nombreux quiproquos et situations rocambolesques dont les Japonais ont le secret.

La rédaction a levé les sourcils plus d’une fois en lisant les deux premiers tomes d’Excuse me dentist, it’s touching me ! et cela serait sans doute votre cas, surtout en voyant le dentiste stabiliser son patient nerveux en enroulant les jambes autour de son cou… Mais si vous n’êtes pas dans la cible de ce shōnen (genre de manga destiné aux garçons adolescents), vous pourrez toujours le recommander à vos jeunes patients ou en laisser traîner quelques tomes dans la salle d’attente pour capter leur attention et les sensibiliser à l’importance d’une bonne santé bucco-dentaire. En effet, entre deux allusions aux « boules », aux gros seins et aux toilettes de gare ou d’école maternelle, l’auteur, qui voue de toute évidence une grande admiration aux chirurgiens-dentistes, en profite pour faire passer des messages de prévention de la part de son héros travesti.

Objectif toilettes neuves

« Plus vous êtes stressé et moins vous sécrétez de salive et ça, ce n’est pas bon », explique Shirayuki Tomori à son patient hypnotisé par ses attributs factices. Allongé, la bouche ouverte, Takuma rêve de dévorer son dentiste aux formes alléchantes. Dans l’un de ses fantasmes lubriques, il l’imagine lui susurrer dans une pose plus que suggestive : « Si vous tenez tant à me déguster, pensez d’abord à vous laver les dents et ayez comme objectif des toilettes neuves. » « Un homme qui n’arrive pas à protéger une dent peut-il vraiment protéger ceux qui lui sont chers ? », lui lance une autre fois Tomori lors d’un rendez-vous dont la nature reste à déterminer…

Mais comment est donc né cet ovni qu’est Excuse me dentist, it’s touching me ? « Pendant longtemps j’étais tellement gêné d’avoir laissé une carie désintégrer une de mes dents que j’avais honte de me rendre chez le dentiste. Mais une fois sur place, j’ai été surpris par sa bienveillance. Je suis reparti de là rassuré et soulagé comme aurait pu l’être un enfant. Je me sentais tellement libéré qu’il m’était plus aisé de dessiner des mangas », déclare Sho Yamazaki, l’auteur, en page de garde. Le fruit de cette inspiration soudaine ? Une histoire complètement loufoque mêlant art dentaire, conflits de yakuza, triangles amoureux, frustration sexuelle et jeux de mots lourdingues à gogo.

Si vous vous inquiétez de recommander cette lecture à vos jeunes patients, n’hésitez pas à y jeter un œil vous-même avant de trancher, ne serait-ce que pour avoir un aperçu du regard que portent les habitants du Soleil Levant sur votre profession. Cela se lit rapidement et les dessins sont plaisants à regarder. Et qui sait ? Avec beaucoup de détachement et de second, voire troisième ou quatrième degré, vous pourriez même réussir à vous laisser séduire par le personnage en blouse blanche à forte poitrine et son excentrique patient balafré…

Quid des dentistes au Japon ? 

Au Japon, les chirurgiens-dentistes sont respectés au même titre que les médecins. Ils font même partie des dix meilleurs revenus du pays et la profession attire de plus en plus les jeunes. L’île compte 29 écoles d’odontologie. Parmi elles, onze sont publiques, dix-sept privées et une préfectorale. Mais si beaucoup d’étudiants s’y essaient, seuls 40 % des premières années seront diplômés au bout des six ans de cursus. Notamment car ce dernier est très cher, surtout dans les écoles privées (environ 100 000 euros par an pour commencer avec les droits d’inscription puis 50 000 euros par an). Pas de thèse à la fin mais un diplôme se référant aux notes des cours théoriques et pratiques. Alors qu’en France on souffre d’une grande pénurie de praticiens, au Japon, le marché est saturé avec une moyenne de 82 dentistes pour 100 000 habitants. Il y aurait plus de cabinets dentaires (68 477 pour 126 14 000 habitants) que de magasins de première nécessité ! Sur les 104 000 dentistes, on compte environ 99 000 omnipraticiens, 2 108 spécialistes en chirurgie orale, 1 196 parodontistes, 1 274 pédodontistes, 349 orthodontistes diplômés, 367 dentistes spécialisés en anesthésie et 189 dentistes radiologistes. Pourtant, malgré le nombre important de praticiens, les Japonais sont réputés pour avoir les dents de travers. Car là-bas, les critères de beauté diffèrent grandement des nôtres et la grande mode est d’avoir des yaeba, ou “double dents”, des canines supérieures ressemblant à des crocs d’animal ou à des dents de vampire. Cette particularité est vue comme un signe de jeunesse et de beauté naturelle et les cabinets voient affluer de plus en plus de jeunes femmes désireuses de se faire poser des canines temporaires ou permanentes