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Traitement de l'édenté total : ce que change le numérique

Le prothésiste Michaël Santos et le Dr Ahmed Rabiey travaillent en binôme pour rendre le flux de travail optimal.

Propos recueillis par Agnès Taupin, publié le 22 mars 2022

Traitement de l’édenté total : ce que change le numérique

Dentoscope : Que change le digital dans le traitement de l’édenté total et la réalisation d’une prothèse amovible complète ?

Michaël Santos : Le numérique change fondamentalement la manière d’appréhender l’ensemble du traitement de l’édenté total et ses différentes étapes de fabrication. En effet, dès l’empreinte primaire mucostatique, la caméra intra-orale nous permet de remplir cet objectif. Il n’y a pas de compression des surfaces d’appui et peu de déformation ou de surextension au niveau des limites périphériques. Le confort du patient est accru, ne subissant plus à cette étape la prise d’empreinte physique. Le fichier ainsi obtenu est partagé instantanément avec le laboratoire. Les PEI sont alors modélisés et imprimés. Un bourrelet d’occlusion peut être modelé traditionnellement à l’aide de repères réalisés au moment de la conception numérique. Ces portes-empreintes occlusaux permettront d’enregistrer à la fois les limites périphériques, les surfaces d’appui, mais également le rapport maxillo-mandibulaire. En effet, les empreintes secondaires anatomo-fonctionnelles et la relation inter-arcades ne peuvent pas encore être digitalisées totalement.

L’ensemble de la situation est scanné, en clinique ou au laboratoire, et un projet de première intention est modélisé et imprimé au cabinet. Il permet la validation esthético-fonctionnelle de la proposition. En cas d’éventuelles retouches additives ou soustractives, les maquettes sont scannées et retravaillées au laboratoire. Ces dernières, selon les matériaux utilisés, peuvent être laissées au patient afin qu’il s’habitue à sa future prothèse, ou qu’il puisse émettre des remarques le cas échéant. Un enregistrement axiographique numérique peut être également réalisé à ce stade. Le projet finalisé pourra être usiné, les matériaux imprimés étant principalement temporaires et n’offrant pas toutes les qualités recherchées en prothèse amovible complète (PAC) à l’heure actuelle.

Dr Ahmed Rabiey : Nous avons de nouvelles possibilités, en particulier grâce aux matériaux et à la production. Cependant, les fondements sont toujours les mêmes. De nouveaux outils vont faciliter certaines étapes, par exemple la production de la prothèse va être beaucoup plus reproductible et biocompatible. Par contre, ce qui ne change pas et sera toujours majeur, ce sont les connaissances nécessaires à la réalisation de cette prothèse et des techniques apprises au fil des années pour « capturer » les tissus mous et avoir de la rétention et de la sustentation.

Comment peut-on rendre optimal ce flux numérique entre le chirurgien-dentiste et le prothésiste dans le traitement de l’édenté total ?

Michaël Santos : Le premier point réside dans le support de communication. En effet, jusqu’ici le praticien face à son patient tentait d’orienter tant bien que mal son prothésiste, et ce dernier, face aux deux modèles en plâtre montés sur articulateur, essayait de redonner un sourire, une identité à un patient qu’il ne verra sans doute jamais… L’apport du numérique à ce niveau rend possible la création d’un patient virtuel, un avatar, un clone numérique qui nous permet enfin de regarder la même chose dans la même direction, optimisant ainsi la communication. Pour rendre ce flux optimal, il faut que les systèmes d’exploitation, les logiciels et autres fichiers soient compatibles et exploitables. Une fois de plus, une parfaite communication entre le cabinet et le laboratoire est primordiale avant la prise de décision des investissements. Il est nécessaire également de s’accorder sur ses courbes d’apprentissage.

Dr Ahmed Rabiey : Qu’il soit numérique ou non, pour qu’un flux soit optimal entre un chirurgien-dentiste et un prothésiste, cela nécessite que les connaissances soient les mêmes de part et d’autre. Les deux doivent se situer non seulement à un même niveau de connaissance, mais aussi d’information vis-à-vis des données du patient. Le numérique m’apporte plus de fluidité, de précision et de reproductibilité, mais le flux dépend aussi du prothésiste avec lequel on travaille et à quel niveau il se situe dans son adoption du flux digital.

Malgré les changements du numérique, quels concepts restent fondamentaux dans le traitement de l’édenté total ?

Michaël Santos : Les enseignements théoriques traditionnels restent d’actualité, le numérique n’est qu’un moyen, un outil guidé par la main et l’esprit de l’Homme. Comment concevoir une prothèse complète sans notion fondamentale ? Comment espérer faire tenir une PAC sans maîtriser les principes d’équilibre de Housset ? La gestion des surfaces d’appui, des limites périphériques, des couloirs prothétiques et zones musculaires neutres, des concepts occluso-prothétiques sont autant d’impératifs à la réalisation d’une PAC 2.0.

Dr Ahmed Rabiey : Ce sont les connaissances anatomiques, les zones de rétention et de sustentation. Les techniques d’empreinte secondaire sont aussi essentielles à la bonne tenue de la prothèse amovible complète. Pour moi, le numérique a toujours été seulement un outil. Cet outil se met au service d’exigences techniques déjà posées depuis des années.

Quel est l’éventail des nouveaux matériaux pour cette prothèse ?

Michaël Santos : Au-delà des nouveaux matériaux, c’est leur utilisation et leur indication spécifique qui nous intéressent. Les résines imprimées ne répondent pas encore aux exigences de la PAC en termes de pérennité. Cependant, elles peuvent rendre de nombreux services, dans les phases de temporisation, cicatrisation, contrôle ou validation. Des prothèses jumelles peuvent également être proposées. Les disques en PMMA usinés pour la base prothétique semblent devenir le gold standard dans le sens où aucune déformation, en comparaison des résines thermopolymérisées ou imprimées, n’est constatée. De plus la fabrication industrielle nous garantit un taux de monomère résiduel quasi nul. Le rendu esthétique, les propriétés fonctionnelles et la disponibilité dans les bibliothèques numériques font des dents du commerce une option encore d’actualité dans les restaurations complètes numériques. Toutefois, l’apport de l’axiographie numérique nous pousse à appréhender le cycle masticatoire du patient et ses pistes occlusales personnelles. D’où la nécessité de modéliser également la partie denture. Les matériaux usinés semblent également répondre davantage aux critères spécifiques de la PAC. La résistance à l’abrasion de certains disques composites multi-layer offrent une alternative esthétique et fonctionnelle acceptable.