Le rire, un outil de management comme un autre ?
Longtemps fui comme signe de manque de sérieux dans le milieu professionnel, le rire au travail a (enfin !) changé de statut. Une équipe qui rit est une équipe plus à l’aise au cabinet, donc potentiellement plus performante, car capable d’évacuer son stress. Rions donc sans entrave !
On lui reprochait d’être le signe décentration, il est désormais devenu quasi obligatoire dans les entreprises d’aujourd’hui. Nouveau diktat, il est de bon ton dans les start-up d’afficher sa joie et sa bonne humeur. Nous le savons, rire fait du bien : il ferait baisser de 26 % le taux de cortisol et d’adrénaline (les hormones du stress). Ses bienfaits (physiques) sont documentés scientifiquement et prouvés : rire réduit les risques cardio-vasculaires, fait travailler les muscles (du visage et abdominaux), permet une meilleure oxygénation. Dans les pays anglo-saxons on apprend à toujours commencer un discours par une note d’humour, cette dernière permettant de capter l’attention et d’aborder la suite dans un même état d’esprit plus détendu et ouvert. En présence des autres, nous rions plus de 10 fois plus que lorsque nous sommes seuls : le rire est une évidente manifestation de lien social. Rire permet de débloquer une situation, de créer une connivence intellectuelle (rire au travail avec ses collègues renforce la solidarité, le goût du travail collectif), de resserrer les liens, de nouer des relations de confiance entre personnes, d’évacuer des tensions. Par extension, rire régulièrement permet de mieux se concentrer sur son travail… et donc d’améliorer sa productivité et non pas de la diminuer comme on le lui reprochait autrefois. L’humour et le rire au travail créent une connivence entre les interlocuteurs : toute plaisanterie supposant une forme de connaissance tacite partagée. Les private jokes ne sont comprises que par ceux qui ont une histoire en commun : échanger des blagues entre membres du cabinet est un lien social qui renforce la solidarité et le goût du travail collectif.
Même en cabinet dentaire ?
Reste que le rire en milieu médical est un exercice délicat. Pour nombre de managers comme d’employés, le cabinet dentaire reste un monde sérieux où plaisanter peut être mal vu. Pourtant, 83% des salariés (tous secteurs confondus) considèrent que la place de l’humour dans l’entreprise est importante, selon l’étude menée pour l’écriture de l’ouvrage Petit traité de l’humour au travail 2011 (voir encadré). D’après cette même étude près de deux personnes sur cinq estiment qu’il n’est pas assez utilisé dans leur structure. Dommage n’est-ce pas ? D’autant que plusieurs études ont prouvé qu’en milieu hospitalier, les équipes soignantes qui développaient leur sens de l’humour obtenaient de meilleurs résultats auprès des patients. Rire oui, mais le sens de l’humour variant d’un individu à l’autre, attention à l’humour noir, au sarcasme, à l’ironie ou à la discrimination qui peuvent être perçus comme cassants et agressifs et donc s’avérer contre-productifs. Pour être bénéfique, l’humour doit avant tout rester bienveillant. Mobiliser son sens de la répartie, se permettre des traits d’esprit, oui, mais à la seule condition que l’intention demeure positive.
Un magnifique antistress
Attention, l’humour n’autorise pas tout, surtout en entreprise, et ne signifie pas user et abuser de blagues lourdes voire discriminatoires qui peuvent virer au harcèlement(selon le type d’humour et la sensibilité de notre interlocuteur). Entendons-nous sur la notion d’humour au cabinet. Il ne s’agit pas de commencer le briefing du matin par la dernière de Chevalier / Laspalès ou de Bigard (pour ne citer que les plus fins), faire de l’humour ne veut pas dire raconter des blagues. C’est un style de management à part entière, en posant un regard décalé, complice, un trait d’esprit qui dynamise le discours, et surtout aide à faire passer les messages, même les plus délicats. L’humour est une puissante soupape, l’humour de situation aide les managers à se sentir mieux et à relativiser, sans perdre leur crédibilité pour autant. Chaque métier a son propre type d’humour, les carabins étant connus pour leur humour grivois et sexiste, l’humour noir est également bien présent en médecine, comme une façon de gérer la situation critique. Il s’agit de privilégier la finesse (jeu de mots subtil, auto-dérision, second degré…) qui permet de prendre de la hauteur et de dédramatiser. Un humour qui joue sur les paradoxes et permet de déconstruire la réalité aidera notre équipe au quotidien. L’humour d’autodérision notamment signifie que l’on a intégré les règles du jeu.
Attention avec les patients
L’humour est notamment une aide précieuse pour faire passer quelque chose de difficile à son équipe (attention, beaucoup moins à ses patients) ou pour s’adapter à un patient difficile. De même, utilisées avec parcimonie et bienveillance, les blagues sur les patients peuvent servir de défouloir de protection. Il ne faudrait pas penser que les membres de l’équipe soignante qui plaisantent avec (mais surtout à propos) des patients sont cyniques, irrespectueux, désinvoltes, aigris ou blasés. C’est même bien souvent le contraire ! Ceux qui apparaissent les plus performants, y compris dans leurs relations interpersonnelles, sont généralement ceux qui manient l’humour de façon fine et diversifié . Les soignants qui pratiquent l’humour de salles de garde, choquant pour les malades et leurs familles, sont généralement des médecins et des infirmières très impliqués et consciencieux dans leur travail, qui ont à cœur de ne pas déshumaniser le malade dans la relation de face-à-face. Il s’agit de s’autoriser d’en rire au travail entre membres du cabinet, en salle de pause, loin des oreilles des patients. Cela reste un excellent moyen de se remotiver et de repartir avec une énergie renouvelée… au service des patients !
Une bulle d’oxygène
Un conseil ? Glisser le rire dans sa boîte à outils de manager pour donner une respiration dans l’univers stressant du cabinet, et, ce faisant, donner le véritable levier de la performance. Le rire au travail ne nuit pas au sérieux, bien au contraire… mais pour être une méthode de management et de cohésion efficace, cet humour doit être accepté par toute monde… et surtout compris ! Si cela n’est pas dans les habitudes actuelles du cabinet, introduire l’humour au cabinet ne peut pas se décréter du jour au lendemain (non, on ne force pas les gens à rire !… l’humour exige de la spontanéité et du naturel). Cela va dépendre de la culture du cabinet et de la personnalité de son dirigeant. Il s’agit tout d’abord de bien analyser l’ambiance générale du cabinet pour y insuffle , en douceur, une culture de l’humour adaptée. Si la démarche paraît difficile à mener, certains prestataires de coaching en entreprise s’en sont fait une spécialité et peuvent accompagner le cabinet dans ce « projet ».