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Gestion et organisation du cabinet dentaire versus « la crise »

Jacques Vermeulen le constate (et le déplore) : « Lorsque nous sortons de l’université diplôme en poche, nous ne sommes absolument pas préparés à la gestion d’un cabinet dentaire ! ». Dans cette tribune libre, il livre à Indépendentaire sa vision de la gestion d’un cabinet. Par le Dr Jacques Vermeulen

Par la rédaction, publié le 22 juin 2016

Gestion et organisation  du cabinet dentaire  versus « la crise »

Aucun enseignement n’est dispensé sérieusement sur la gestion du cabinet dentaire. Il semble même que le simple mot « organisation » soit tabou et sujet à suspicion. Beaucoup assimilent l’organisation à la notion de profit et de rentabilité. Il n’en est rien, même s’il faut reconnaître que là où il y a de l’organisation, il y a souvent du profit. C’est un effet positif et non un objectif. Si la lecture de ces lignes ne réveille en vous que l’idée de la rentabilité financière de votre cabinet dentaire, j’aurai raté mon but ! Car ce que je propose in fine c’est de :

  • Travailler dans de bonnes conditions ;
  • Accorder du temps à chaque patient ;
  • Finir la journée avec l’énergie de pouvoir faire encore autre chose ;
  • Vivre votre travail dans une ambiance sereine ;
  • Construire une équipe dont l’objectif premier sera le service au patient.

Tout cela n’est-il pas au fond le vrai profit ? Profiter de sa vie professionnelle pour s’offrir le plaisir d’aller chaque jour au « boulot ». Confucius l’a dit : « Choisis un travail que tu aimes, et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie. » Peu importe votre lieu d’implantation, c’est à vous de choisir votre exercice professionnel. Bien sûr, il serait plus simple, pour bien commencer, de connaître ces principes d’organisation et de gestion du cabinet dentaire, dès le premier jour d’ouverture de votre cabinet, mais cela entre dans le domaine de l’utopie. En matière d’organisation et de gestion du cabinet dentaire, ne dites jamais : « C’est trop tard ! » ; « Je ne peux plus rien changer… » ; « Je suis trop vieux ! » et surtout « C’est la crise ! ». Je vais m’attarder sur cette réflexion la plus courante et d’actualité.

Qu’est ce que la crise ?

Je voudrais vous amener à une réflexion sur ce que les médias et les Français (en particulier) nomment : la « crise ». Le monde change et de ce point de vue la crise est permanente, mais cela s’appelle « le changement ». Cet état concerne principalement les technologies car, pour la société et sa gouvernance, rien n’a vraiment changé… ! La Chine avec ses sinogrammes vieux de milliers d’années (1 200 – 1 400 av. J.-C.), définissait déjà par deux symboles le mot « crise ». L’un signifiant « danger », l’autre « opportunité de changement ». Seul le danger peut nous faire changer d’attitude ! Quand je vous disais que rien n’avait changé dans notre société, hormis les avancées technologiques. À nous de saisir cette opportunité. Notre profession est en pleine mutation : technologique, culturelle, relationnelle. Toutefois, il faut noter que nous possédons un atout sur d’autres professions, c’est sa finalité manuelle (artisanale) : tout passe par nos mains ! Que les intello-scientifiques se rassurent, il faut aussi la connaissance fondamentale scientifique mais le travail en bouche sera toujours manuel et donc nous sommes en quelque sorte irremplaçables, jusqu’à l’avènement de robots. Et sans être présomptueux, mais réaliste, il y aura toujours des bons et des mauvais… dentistes ! (C’est ce que les gestionnaires de centres low cost n’ont pas compris !). Il est temps de choisir d’être dans les bons ! C’est un choix exigeant et qui demande beaucoup d’investissement.

Crise ou refus obstiné du changement ?

« Derrière toute crise, il y a un monde qui change et qui ne sera plus jamais comme auparavant » (Herman Van Rompuy) Ce sont des leurres que vous vous donnez. Agissez plutôt, c’est le moment opportun pour prendre des décisions.

Quel dentiste je veux être ?

Est-ce que je veux avoir un exercice libéral sans affiliation à un réseau de soins ? Est-ce que je veux avoir un exercice libéral dans un réseau de soins ? Est-ce que je veux être salarié libéral ? Est-ce que je veux être salarié d’une mutuelle ou d’un centre de soins ?

Quelle dentisterie je veux faire ?

Cela va essentiellement dépendre du choix que vous avez fait dans la question précédente. Si vous avez opté pour une des trois premières propositions, l’organisation vous concernera pleinement. Pour les salariés d’une mutuelle ou d’un centre de soins, l’organisation leur sera imposée ! Mais s’agit-il d’une organisation ? Je vais aborder ce sujet très politique ci-après ! Comme pour « la crise », les dentistes qui refusent le changement ainsi que l’organisation, répondent toujours par des leurres : « Oui, mais je n’ai pas le choix » (objection la plus courante). « Les patients veulent uniquement ce qui leur coûte le moins cher et ce qui est remboursé par le régime obligatoire de l’Assurance maladie et les mutuelles. »

Que penser des centres « low cost » ?

Oserai-je vous conter mes débuts comme dentiste il y 37 ans : mon choix d’installation n’a pas été fait sur une stratégie commerciale quelconque mais sur la volonté naïve de m’installer à la montagne pour un cadre et une qualité de vie. J’ai découvert rapidement, après mes premiers mois d’exercice, l’existence d’une mutuelle d’entreprise « Ugine Kullman » dans la ville la plus proche, Ugine. La population des petits villages autour de mon cabinet, qui constituait mon réservoir de patientèle, était pour la grande majorité bénéficiaire de l’accès aux soins de cette mutuelle. Mes propositions de traitement global finissaient à la poubelle au profit de plans de traitements « sociaux économiques » des dentistes mutualistes. J’ai gardé ma philosophie de la recherche de l’excellence dans l’exercice de mon métier.

Pendant ce temps les mutualistes ont travaillé comme des mutualistes, avec les moyens qu’on leur avait donnés, et avec un turn-over de praticiens importants. Conséquence… après quelques mois et au plus 3 ans, les patients sont revenus « penauds » me revoir pour « réparer » les dégâts… mais ma position était, vous l’imaginez, beaucoup plus confortable ! Je vous parle d’un temps que les plus jeunes n’ont pas connu… 37 ans, mais la vie est un éternel recommencement. Les centres low cost et autres seront vite rattrapés par la iatrogènie de leurs traitements et les patients en seront les victimes… comme toujours (ça a déjà commencé !).

Alors, chers confrères qui êtes prêts à céder aux chants des sirènes des réseaux de soins, sachez que vous perdrez rapidement votre autonomie, votre libre arbitre et plus que tout la possibilité de soigner correctement « dans l’excellence » vos patients. Avoir peur des centres low cost, mutuelles, réseaux de soins, c’est reconnaître tacitement que l’on peut réaliser des actes de qualité moins chers ! Si c’est le cas, nous sommes tous des « voleurs » et nous devons baisser nos tarifs ! Mais la réalité de gestion du cabinet dentaire ainsi que la prise en charge des échecs (car ils en auront beaucoup à gérer) rattrapera vite tous ces centres et ces réseaux de soins. Les centres low cost, un modèle économique trompeur ! (Du moins au tarif proposé jusqu’à ce jour.)

La preuve Dentexia, et son dépôt de bilan ! Comment peut-on imaginer qu’un cabinet dentaire avec un plateau technique performant et dans le respect des normes d’hygiène puisse actuellement générer 70 % de frais de gestion et que l’on puisse proposer des traitements complets à moitié prix, soit 20 % de moins que les frais de gestion ? Le miracle est dans la filouterie ! Certes on peut imaginer une gestion du cabinet dentaire drastique qui puisse diminuer des frais de gestion de 10 à 15 %, mais en deçà, cela cache des malversations dans tous les domaines et qui relèvent de l’escroquerie.

Car nous savons, du moins ceux qui ont la conscience du travail bien fait et de sa pérennité, que l’échec n’arrive pas qu’aux autres et qu’il faut savoir assumer avec un grand A, c’est-à-dire refaire, reprendre le travail et ce gracieusement. Comme la plupart des réseaux de soins appartiennent aux groupes d’assurances, ils devront prendre en charge leur propre sinistralité, les polices d’assurance vont exploser et le serpent se mordra la queue… Une seule victime : le patient.

Une seule issue pour « leurs victimes » aller consulter des praticiens consciencieux dans l’indépendance des choix thérapeutiques, avec un plan de traitement qui convient aux patients et non à ceux qui leur imposent les leurs…! D’où une dentisterie à deux vitesses, comme toujours et comme partout ailleurs dans le monde.

Revenons sur le plan de l’organisation, il y a un point où je suis d’accord avec le concept des centres low cost, et que je prône depuis toujours, c’est le groupement de praticiens dans une structure où l’administratif, la gestion comptable, la stérilisation, l’économie d’échelle, les stocks et le personnel, leur permettent de se concentrer sur leur métier : être au fauteuil au service du patient.

Cela signe la fin de l’exercice libéral solitaire pour ouvrir celle de structure libérale plurale. « Je mérite mieux ! » est la seconde objection la plus courante. C’est un symbole sociétal. Dire que l’on mérite, c’est attendre de l’autre. C’est de toute évidence le signe d’une grande frustration. Il faut d’abord apprendre à donner aux autres sans attendre une reconnaissance quelconque.

Elle viendra cette reconnaissance naturellement quand vos patients verront en vous un praticien capable de résoudre leurs problèmes. Le plus dur et long à mettre en place est la corrélation entre les problèmes dentaires que vous diagnostiquez et la conscience qu’en ont vos patients. Vous n’obtiendrez cette adéquation que si vous devenez un « expert » aux yeux de vos patients. On ne se déclare pas expert !

Même si votre titre de docteur vous confère une légitimité, ce sont vos patients qui verront en vous l’expert. La présentation du plan de traitement revêt une importance capitale dans cette reconnaissance, c’est un travail long et fastidieux mais qui, s’il est bien réalisé, avec honnêteté et clarté, va vous apporter cette reconnaissance « méritée ».

Pour cela il faut apprendre à présenter, expliquer vos plans de traitement en restant sur le terrain clinique sans jamais ni négliger ni redouter l’aspect financier. Gardez toujours à l’esprit qu’avant le début des traitements vous êtes au stade des explications. Après le traitement vous allez entrer dans le temps des justifications. Cette phase est beaucoup moins confortable ! Dans la vie, en règle générale, l’explication vaut mieux que la justification.

Quelques exemples

  1. Patient dont le traitement choisi est un appareil complet mobile. Lors de la présentation du plan de traitement vous énoncez clairement que pour obtenir une bonne tenue il faudra utiliser de l’adhésif. Si le complet tient sans vous serez le meilleur des dentistes aux yeux du patient. S’il doit utiliser de l’adhésif, pour le patient c’est normal vous l’aviez informé.
  2. Patient atteint d’une maladie parodontale responsable de la perte de beaucoup de dents et qui le conduit dans votre cabinet pour une solution de réhabilitation implantaire. Vous l’informez clairement et par écrit lors de la présentation du plan de traitement que cette maladie d’origine bactérienne s’attaque aussi aux implants. Le patient vient en contrôle après implantation, aucune cratérisation, vous êtes un « champion du monde » aux yeux de votre patient. Un ou plusieurs implants ont des spires apparentes après quelques années, vous aviez informé le patient et il comprend. Il va falloir imposer votre style ! Facile à dire, pas facile à faire.