Apport de la chirurgie guidée en pratique quotidienne

La chirurgie guidée et la planification virtuelle nous permettent de prévisualiser nos futures reconstructions. Elles nous font gagner en prédictibilité et efficience.

Drs Arnaud Soenen et Julien Brothier, publié le 10 juin 2022

Apport de la chirurgie guidée en pratique quotidienne

La chirurgie implantaire guidée ne fait plus débat aujourd’hui. Elle est devenue la norme pour mettre en œuvre une réhabilitation implantaire de manière sûre, précise et reproductible. Le principe est d’utiliser un guide de forage permettant de positionner les implants en bouche tels qu’ils ont été planifiés initialement sur ordinateur. 

La mise en œuvre de ce protocole repose sur la superposition, ou « matching  », ou concaténation de l’ensemble des données nécessaires, à savoir les données cliniques issues d’une empreinte optique ou du scan d’un modèle physique, et les données radiologiques issues d’un cone beam. À ces données indispensables peuvent s’ajouter des contenus complémentaires issus d’autres outils numériques comme les scans faciaux intégrant l’ensemble des renseignements esthétiques du visage et du sourire, ou encore les mouvements fonctionnels de l’appareil manducateur obtenus par le modjaw.

La finalité est la modélisation et la fabrication par impression 3D d’un guide chirurgical. Celui-ci peut être un simple guide pilote, guidant la main du chirurgien dans la réalisation du forage initial, ou bien un guide complet intégrant le passage de l’ensemble des forets jusqu’à l’insertion des implants. Certains « workflow » vont jusqu’à la réalisation de guides « à étage » permettant la réalisation de bridges provisoires transvissés en amont de la chirurgie.

Ce protocole de chirurgie guidée peut être étendu ou détourné pour la réalisation d’autres types d’actes tels que des guides de coupe pour prélèvement osseux ou l’élévation sinusienne des guides pour résections apicales, ou comme nous le verrons la pose de mini-vis orthodontiques. 

Au travers de quatre situations cliniques, nous allons illustrer l’apport de la chirurgie guidée et de la planification virtuelle au cours de toutes les étapes et des séquences du plan de traitement aussi bien en pré et peropératoire. Ces techniques aujourd’hui mises à notre disposition nous permettent de prévisualiser nos futures reconstructions. Elles nous font gagner en prédictibilité et efficience, tout en assurant notre devoir d’information auprès du patient en lui délivrant une information claire et intelligible en vue de recueillir son consentement éclairé. Le patient devient acteur de son propre plan de traitement.

Cas clinique 1

Une patiente se présente en consultation, adressée par son praticien traitant pour une mobilité marquée 2+ du bloc antérieur 34.33.32.31.41.42 (Fig.1 et 2). Nous sommes en présence d’une parodontite chronique de l’adulte. Cette pathologie se devra d’être traitée, stabilisée et réévaluée avant d’entamer toute réhabilitation implanto-portée et d’envisager sereinement sa pérennité en bouche. Le bloc antérieur de 34 à 42 est maintenu par une attelle métallique recollée à de nombreuses reprises. Le bloc est mobile dans son intégralité, avec une perte osseuse en cuvette terminale marquée en regard de 34.33 et 32 (Fig.3).

Fig.1 : Situation endobuccale.

Situation endobuccale
bloc mandibulaire

Fig.2 : Visualisation du bloc antérieur mandibulaire.

radio panoramique

Fig.3 : Radiographie panoramique initiale.

Dans le cas présent, nous avons décidé de procéder dans un premier temps à la mise en place d’une thérapeutique parodontale, bilan status long cône, détartrage surfaçage radiculaire « full mouth » puis réévaluation de la situation clinique. Dans un deuxième temps, nous avons extrait les dents du bloc antérieur, et après curetage minutieux des alvéoles, procédé à la reconstruction du déficit osseux présent avec fermeture du site opératoire. À quatre mois postopératoires, nous réalisons une empreinte optique intraorale à l’aide de la caméra intraorale Carestream CS 3800, et un examen tomographique de l’ensemble de l’arcade mandibulaire. Les données issues de l’empreinte optique, fichier STL, et les données radiographiques fichier DICOM sont « matchées » au sein du logiciel Blue SkyPlan (Fig.4).

Matching des données

Fig.4 : Matching des données au sein du logiciel BSP.

L’empreinte optique de la situation initiale est additionnée à ces fichiers, correspondant à un brouillon analogique de la prothèse d’usage. Les implants sont positionnés virtuellement au sein du logiciel en adéquation avec le positionnement prothétique, ceci nous permet dans la grande majorité des cas de privilégier des restaurations transvissées implanto-portées et l’usage de piliers droits. Un guide chirurgical (Fig.5) est confectionné pour la pose des implants dans le cadre d’une chirurgie « Full Guided » avec lambeau pour aménagement parodontal (Fig.6).

Modélisation du guide chirurgical

Fig.5 : Modélisation du guide chirurgical.

Fig.6 : Situation clinique peropératoire.

Dans la même séance, après contrôle radiographique du bon positionnement implantaire (Fig.7) et contrôle de la stabilité primaire, nous réalisons une empreinte optique intraorale pour la confection d’un bridge transitoire transvissé qui sera mis en bouche dans le même jour que la séance opératoire (Fig.7). À T+15, nous notons une intégration du bridge transitoire somme toute correcte (Fig.8).

Fig.7 : Radiographie panoramique de contrôle postopératoire.

Visualisation du bridge transitoire

Fig.8 : Visualisation du bridge transitoire à 3 semaines.

À quatre mois, nous procédons à la confection de la prothèse d’usage, bridge full zircone stratifié sur embases titane fixées sur piliers étroits droits (Fig.9 à 11). Ce cas clinique illustre la prédictibilité et la fiabilité entre la simulation implantaire au sein du logiciel et la situation terminale des implants posés, ainsi que la restauration finalisée au sein de la sphère orale. Nous pourrions résumer ce cas clinique à cet adage « Je dis ce que je fais et je fais ce que je dis  ».

Restauration d'usage

Fig.9 : Restauration d’usage.

Fig.10 et 11 : Contrôle de la passivité et de l’ajustage de la restauration en regard de 43 et 41 et de 41.33.34.

Fig.11.

Cas clinique 2

Un confrère orthodontiste nous adresse cette jeune patiente en classe 2 dentaire traitée par gouttières Invisalign avec augmentation de la supraclusion et du surplomb (Fig.12). Quatre mini-vis orthodontiques ont été placées entre les incisives latérales et les canines maxillaires et mandibulaires afin d’ingresser les blocs antérieurs. Les mini-vis choisies sont des Vector TAS de chez Ormco, de 8 mm de longueur pour 1,4 m de diamètre. L’analyse du cone beam montre des espaces inter-radiculaires très restreints d’à peine 1,5 mm (Fig.13).

Fichier STL issu de l'empreinte optique intraorale

Fig.12 : Fichier STL issu de l’empreinte optique intraorale, vue frontale.

Fig.13 : Vue sincipitale de l’espace inter-radiculaire réduit entre 12-13 et 22-23.

La planification est réalisée dans le logiciel Bluesky Plan selon les règles de positionnement de mini-vis orthodontiques, les guides sont modélisés, imprimés, nettoyés à l’alcool isopropylique, polymérisés, mis sous poches et stérilisés (Fig.14, 15).

Modélisation des douilles sur les futurs guides chirurgicaux

Fig.14 : Modélisation des douilles sur les futurs guides chirurgicaux.

Fig.15 : Après passage en cuve UV.

En bouche, un nettoyage à la bétadine est réalisé ainsi qu’une anesthésie locale para-apicale classique. Le guide est positionné et la mini-vis est insérée. C’est la tête du tournevis qui est guidée et non la mini-vis orthodontique (Fig.16 à 20).

Guide chirurgical

Fig.16 : Visualisation du guide in situ.

Fig.17 : Mini-vis sur contre-angle.

Vissage au travers du guide chirurgical

Fig.18 : Vissage au travers du guide.

Fig.19 : Objectivation du positionnement tridimensionnel de la mini-vis en conformité avec la planification.

Fig.20 : Situation d’usage.

Le design du guide peut être modifié avec notamment un petit évent pour faciliter la désinsertion du guide après mise en place de la mini-vis orthodontique (Fig.21). L’apport de la chirurgie guidée permet de confronter les points de vue de chacun, orthodontiste et chirurgien-dentiste, lors de la délégation de cet acte. Les finalités souhaitées par l’orthodontiste (point d’ancrage fixe) peuvent parfois diverger des réalités anatomiques mises en évidence par le chirurgien-dentiste lors de l’examen radiographique. La chirurgie guidée apporte ici synergie et coordination dans la réalisation de cet acte.

chirurgie guidée

Fig.21 : Réalisation de nouveau guide pour pose de mini-vis avec évent vertical pour désinsertion.

Cas clinique 3

Un patient de 48 ans, adressé par son dentiste traitant, se présente pour une instabilité de sa restauration prothétique mandibulaire dans un contexte de classe II.2 squelettique marquée (Fig.22). Le contrôle de plaque n’est pas maîtrisé, la gencive est inflammatoire en regard de 32 et 31, la structure 41.42.32.31 est mobile et symptomatique (Fig.23). Radiologiquement, 41 et 42 ont été extraites et remplacées par un restauration prothétique prenant appui sur 31 et 32, réalisée deux ans auparavant.

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Fig.22 : Situation endobuccale, mise en évidence de la classe II.2 marquée.

Fig.23 : Restauration prothétique mandibulaire instable.

Fig.24 : Restauration prothétique retenue radiologiquement par 33 et 32 avec deux éléments en extension.

Mécaniquement, il faut reconnaître que les conditions ne sont pas réunies pour une survie de cette restauration prothétique dans le temps. Nous réalisons classiquement une empreinte optique intraorale (fichier STL) que nous « matchons » avec un examen tomographique (fichier DICOM) de la mandibule de notre patient. Virtuellement, au sein du logiciel Exocad, nous réalisons l’extractions de ces dents, et déterminons un montage directeur virtuel correspondant à la future restauration d’usage 31.32.41.42 transvissée avec embases titane sur piliers étroits droits et supportée par deux implants en 32-42 (Fig.25 à 27). Le jour de la chirurgie, nous déposons la restauration prothétique existante (Fig.28), avulsons les dents résiduelles de manière atraumatique et posons deux implants en chirurgie full guidée au travers de notre guide avec comblement du gap en regard de 32.

Fig.25 : Matching des données DICOM et STL au sein du logiciel BSP.

Chirurgie guidée

Fig.26 : Modélisation du guide.

Chirurgie guidée

Fig.27 : Le guide avant impression au sein du logiciel Preform.

Fig.28 : Extraction atraumatique des dents résiduelles.

Fig.29 : Contrôle à T+21 du bridge transitoire.

Nous réalisons une empreinte optique intraorale à l’aide de deux scanbodys posés sur piliers étroits droits et procédons à l’impression au sein de notre structure d’un bridge imprimé 32.31.41.42 avec collage des embases titane. Le bridgetransitoire est mis en place, notons la qualité de la cicatrisation et l’intégration gingivale de la restauration à T+21 jours. Les stries présentent sur le bord libre de la restauration attestent du caractère imprimé de ce dernier (Fig.29). Le patient est revu à 4 mois postopératoires, pour contrôle radiographique et aval pour le praticien correspondant avant prise d’empreinte et réalisation de la prothèse d’usage (Fig.30).

Fig.30 : Notons la bonne intégration du bridge transitoire et le modelage gingival de ce dernier avant réalisation de la restauration d’usage.

Cas clinique 4

Ce cas illustre un délabrement dentaire très avancé avec l’ensemble des dents maxillaires fortement cariées ou à l’état de débris radiculaires. Le choix thérapeutique s’est orienté vers un bridge complet maxillaire sur 6 implants. L’ensemble des données nécessaires est recueilli par des empreintes optiques maxillaire et mandibulaire, un cone beam, et un scan facial avec le sourire du patient (Fig.31). Un wax-up virtuel est réalisé (Fig.32) et reporté sur le scan facial afin de prévisualiser le résultat (Fig.33). La planification implantaire est réalisée sur le logiciel SMOP. La base osseuse maxillaire ne nous permet pas de paralléliser tous les implants. Nous aurons donc des implants angulés entre eux avec des piliers multi-unitdroits, angulés à 17 degrés et angulés à 30 degrés. En revanche, tous les piliers provisoires seront parallèles entre eux (Fig.34 à 35). Ce type de résultat n’est envisageable que par l’utilisation de la chirurgie guidée. Nous avons opté pour un workflow composé de deux guides chirurgicaux successifs et d’un bridge provisoire réalisé en amont de la chirurgie.

Situation initiale

Fig.31 : Situation initiale.

Wax-up virtuel

Fig.32 : Wax-up virtuel.

wax-up

Fig.33 : Wax-up reporté sur le scan facial.

planification implantaire

Fig.34 : Planification implantaire sur SMOP.

Implants

Fig.35 : Implants angulés entre eux, mais piliers provisoires parallèles grâce aux piliers multi-unit angulés.

Le premier guide chirurgical est positionné sur la denture résiduelle du patient et permet les forages pour positionner les tiges de fixation du second guide (Fig.36).

chirurgie guidée

Fig.36 : Premier guide chirurgical en place pour positionnement des tiges de fixation.

Ces trois points de fixation permettent un référencement dans l’espace et le bon positionnement du second guide et du bridge provisoire. Ensuite, toutes les dents sont extraites. Le second guide est mis en place, indexé et solidarisé à la base osseuse par les tiges de fixation (Fig.37).

chirurgie guidée

Fig.37 : Passage de l’ensemble des forets au travers du second guide chirurgical.

Il s’agit d’un guide complet permettant le passage de tous les forets et la mise en place des implants. Enfin, les piliers multi-unit sont mis en place, ainsi que les piliers provisoires (Fig.38). Le bridge provisoire est positionné en bouche, réindexé par les tiges de fixation (Fig.39).

Piliers multi-unit

Fig.38 : Mise en place des piliers multi-unit.

bridge provisoire

Fig.39 : Positionnement du bridge provisoire.

Ce bridge est solidarisé aux piliers provisoires par l’injection de résine bis-acrylique type Structure de Voco. Le bridge est ensuite retiré et finit hors bouche (Fig.40 à 42). Trois mois plus tard, le bridge d’usage est réalisé et mis en bouche (Fig.43 et 44).

Fig.40 : Situation postopératoire immédiate.

Fig.41 et 42 : Situation à 1 mois postopératoire.

Fig.42.

Fig.43 : Mise en place du bridge d’usage.

Fig.44 : Résultat final.

Conclusion

La chirurgie guidée apporte en pratique quotidienne une prédictibilité de nos actes chirurgicaux et nous fait gagner en efficience. La communication dans le cadre d’un exercice avec correspondants s’en trouve renforcée, quant au patient il devient acteur de sa thérapeutique. Cependant, il est nécessaire de bien conserver à l’esprit que tous ces éléments ne sont que des « outils » à notre disposition. Ils ne sauront se substituer à des bases solides en chirurgie et en implantologie et à une mise à jour permanente de nos connaissances pour à tout moment être en mesure de reprendre la main en période peropératoire. La mise en place de protocoles standardisés reproductibles et une utilisation généralisée de la chirurgie guidée pour toutes les situations cliniques permettra de gagner en sérénité et de sécuriser l’acte chirurgical.

Auteurs

Dr Arnaud Soenen

Ancien assistant hospitalo-universitaire

MSBM

DU de réhabilitation orale et d’implantologie

Exercice libéral limité à la chirurgie buccale et l’implantologie

Dr Julien Brothier

Ancien assistant hospitalo-universitaire

CES de parodontologie

DU d’implantologie

Exercice libéral limité à la chirurgie buccale et l’implantologie

Lieu d’exercice : clinique chirurgicale du Libournais, Libourne

Bibliographie

[1] Qiu L, Xu H, Feng P, Sha X, Zhang H. Clinical effectiveness of orthodontic miniscrew implantation guided by a novel cone beam CT image-based computer aided design and computer aided manufacturing (CAD-CAM) template. Ann Transl Med 2021;9(12):1025. doi: 10.21037/atm-21-2575. [2] Chang CH, Lin LY, Roberts WE. Orthodontic bone screws: A quick update and its promising future. Orthod Craniofac Res 2021;24 Suppl 1:75-82. [3] Kuroda S, Tanaka E. Risks and complications of miniscrew anchorage in clinical orthodontics. Jpn Dent Sci Rev 2014;50:79-85. [4] Alghazzawi TF (2016) Advancements in CAD/CAM technology: options for practical implementation. Journal of Prosthodontic Research 60, 72-84.