Interview du Dr Gérard Navarro

Le docteur Gérard Navarro se présente comme un « jeune dentiste, retraité en activité ». Il s’est dévoué au développement du laser en odontologie via la Dental laser academy. Rencontre avec un praticien atypique.

Par la rédaction, publié le 20 mai 2014

Interview du Dr Gérard Navarro

Pour commencer cet entretien, pouvez-vous nous retracer votre parcours professionnel avant de devenir chirurgien-dentiste et depuis?

Dr Gérard Navarro : Mes débuts dans « la vie professionnelle », ont commencé très tôt, dès mes 16 ans. Jeune, j’ai fait de nombreux jobs, dans différents domaines, pour payer mes études. Sportif de haut niveau, après le Bac, j’avais le sport chevillé au corps et surtout à la tête. Les conseils de mes profs, de mes entraineurs et l’envie m’ont fait m’orienter vers le métier de professeur de gym et donc vers le CREPS. Après un an de travail acharné, les événements de mai 68 ont fait que je n’ai pas pu passer le concours du CREPS cette année-là. Pas de temps à perdre. Je n’avais pas le choix financier de différer, même d’un an, mon saut dans le monde actif. Pour ne pas perdre les acquis d’une première année de Supérieur, j’ai bifurqué en « biologie et physiologie » et j’ai foncé jusqu’au concours de l’agrégation pour devenir enseignant, après avoir hésité avec un parcours dans la recherche fondamentale. J’ai exercé pendant 17 ans le très beau métier de professeur de biologie, au sein de l’Éducation nationale, jusqu’au découragement face à ce que je considérais comme un désengagement progressif de l’institution pour l’excellence et son orientation vers la généralisation de l’obtention du Bac. À l’âge de 35 ans, j’ai repris le chemin de la fac. J’ai passé le concours de médecine. Après le succès, un choix s’imposait. Je ne voulais pas faire de nombreuses années d’études, compte tenu de mon âge et de ma situation familiale. J’étais père de deux très jeunes enfants. J’ai donc choisi dentaire après ma réussite au concours. Je croyais que je signais pour cinq ans. La suite m’a prouvé qu’avec toutes les années de CES, D.U, master etc., les années se sont accumulées sans effort, car j’avais été captivé par la matière et j’avais la passion d’exercer ce métier. Actuellement, du point de vue de la dentisterie et pour résumer, je suis un « jeune dentiste, retraité en activité ». J’explique : jeune dentiste car en activité depuis seulement 26 ans (diplômé de Paris VII en 1986) ; retraité car depuis janvier 2013, à 65 ans révolus, je suis pensionné de la CARCD ; en activité car j’exerce toujours, dans mon ancien cabinet où je me consacre définitivement à seulement « mon métier, et ma passion » sans souci administratif ou de gestion.

Qu’est-ce qui vous a conduit à la parodontologie et l’implantologie ? Quels maîtres ont guidé vos choix et la réalisation de vos projets. Qui a posé les premières fondations de Gérard Navarro ?

Dr Gérard Navarro : J’ai eu la chance, peut-être parce que j’étais un étudiant plus âgé que les autres, de recevoir un enseignement de privilégié et je sais en tant qu’« ancien prof » de quoi je parle. J’ai rencontré à Garancière, « mon église », des profs extraordinaires qui m’ont inculqué l’amour de l’acte clinique parfait, la rigueur, l’expression du geste salvateur allié à la connaissance fondamentale, pour soulager la douleur d’autrui avec la recherche du contact humain. Les enseignements des professeurs Etienne et Ohayoun m’ont naturellement conduit à perfectionner la parodontologie, ceux des Prs Bert, Missika, Picard à parfaire l’implantologie, celui du Pr Rocca à façonner les applications lasers. Je profite de cette tribune pour les remercier tous vivement pour l’excellence de leur enseignement. Je leur en serai toujours reconnaissant.

Pourquoi la paro-implantologie est-elle si importante ? Vous cherchez, comme tout bon praticien, l’intérêt des patients sur du long terme. Qu’est-ce qui prédomine pour la mise en place de vos choix ?

Dr Gérard Navarro : La parodontite chronique atteint 20 % à 30 % de la population adulte. Les études épidémiologiques associent aujourd’hui la maladie parodontale à de nombreuses pathologies (cardiaques, diabète, accidents vasculaires cérébraux, naissances prématurées, infections des voies respiratoires) impliquant les bactéries pathogènes parodontales dans la genèse de ces pathologies. On se rend compte par là-même de l’importance de la prise en charge parodontale en « santé publique » et par voie de conséquence, dans nos cabinets en particulier. Les poches parodontales peuvent être des sites à l’origine d’endotoxines systémiques circulantes (LPS) responsables de sepsis. Des études ont montré la corrélation entre la sévérité de la maladie parodontale et la quantité d’endotoxines circulantes après la mastication. Le traitement de la maladie parodontale dite « réfractaire » conduit automatiquement in fine à l’implantologie réparatrice et compensatrice.

À un moment de votre carrière, le laser ou mieux, les lasers, ont croisé votre route. Pourquoi s’y être arrêté et qu’est-ce qui motive votre implication actuelle ? Parlez-nous de la Dental laser academy.

Dr Gérard Navarro : J’ai découvert les applications laser à partir de l’ophtalmologie. Après avoir vu des blépharoplasties au laser CO2 et la soudure des téguments au laser (sans points de suture), je me suis dit que ce qui était valable sur la muqueuse palpébrale pouvait peut être s’appliquer sur les muqueuses buccales. J’ai donc acheté mon premier laser CO2 en 1989. Ce laser est devenu indispensable à mon exercice. Cependant sa maîtrise nécessite des bases physiques et biologiques. Moi, je l’utilisais de manière empirique, sans formation fondamentale universitaire. J’établissais mes paramètres approximativement et à la vue des résultats cliniques obtenus je rédigeais mes protocoles opératoires sécurisés. Petit à petit, toutes les longueurs d’ondes applicables en odontologie, donc des lasers erbium, néodyme, diodes, softs, etc. ont envahi mon cabinet et complété mon arsenal thérapeutique. Quand le D.U d’applications laser a été créé à Nice, je m’y suis inscrit et j’y ai entraîné mes copains. Puis ce fut le master. Mais j’étais frustré, car au cours de ces années, les T.P cliniques existaient peu ou pas. J’ai donc eu l’idée de créer, avec mon associé Frederick Gaultier que j’avais entraîné dans l’aventure, la « Dental laser academy » (DLA). Nous avons incorporé très rapidement, deux autres confrères et amis, les Drs Sylvain Mareschi et Brice Savard. Nous sommes quatre praticiens, tous « Mastérisés lasers » aux personnalités différentes, aux connaissances diversifiées dans de nombreux domaines complémentaires. Mais, notre préoccupation première reste la clinique et la connaissance des mécanismes mis en jeu lors de l’utilisation d’un laser. Nous avons souhaité que la DLA soit une société scientifique. Elle a été créée dans le but de faire connaître et de promouvoir l’utilisation des lasers en odontologie. – La DLA a organisé le premier congrès international sur le laser dentaire en France, à Paris, en 2006 et a renouvelé l’événement tous les 2 ans. – La DLA organise également des formations théoriques et pratiques et dispense des cours dans les masters européens Emdola dans les universités de Nice, Liège, Gènes, Parme, Rome… sur les lasers.

En tant que responsable avec vos collègues de la Dental Laser Academy, du Congrès Mondial sur les Lasers qui se tiendra à Paris début Juillet 2014 conjointement avec un congrès équivalent en implantologie, pouvez-vous nous confier votre sentiment et vos espérances pour cet évènement ?

Dr Gérard Navarro : Les thérapeutiques laser sont peu enseignées, peu développées au sein de l’arsenal thérapeutique conventionnel et souvent mal perçues. Largement utilisée en ophtalmologie ou en dermatologie, la technologie laser non iatrogène est efficace. Trouve-t-elle naturellement sa place en odontologie ? L’argumentation portant sur l’intérêt dans l’usage de cette technologie est soumise à controverse pour probablement quelques raisons valides et d’autres discutables, voire invalides. À la DLA nous pensons que, de tous les matériels que nous avons eu à notre disposition, les lasers sont les plus prometteurs. Leurs applications en odontologie sont de plus en plus étudiées. Sans aucun doute, ils nous apporteront les plus grands bouleversements dans notre quotidien. Le laser polyvalent sera un acteur majeur, destiné à jouer un rôle primordial dans nos cabinets. Ainsi quand la « World Federation for Laser Dentistry » (WFLD), à la vue des réussites de nos congrès de 2006, 2008, 2010 et 2012, nous a sélectionnés devant d’autres pays (Japon, USA…) pour organiser leur congrès mondial, www.wfld-paris2014.com, nous avons pensé y associer le premier congrès mondial d’implantologie orale, Paris Descartes, www.oiwc-paris2014.com. Nous pensons que les confrères parodonto-conscients qui se sont risqués un jour à la pratique de l’implantologie, seront à même de s’orienter vers la pratique des lasers. Ils découvriront les bénéfices incontestables des lasers en complément de leur activité.

Toujours dans cet ordre d’idée, pouvez-vous nous confier votre sentiment sur ce qui est mis en place pour assurer une meilleure santé bucco-dentaire en France, tant sur le plan de la prévention que des soins ?

Dr Gérard Navarro : La prévention est principalement assurée et organisée par la profession et ce de manière relativement efficace. La mise en place du BBD est une avancée incontestable. La prochaine étape est la visite de contrôle annuelle obligatoire pour tous.

Quelle est votre opinion sur notre formation, considérez-vous que l’université prépare suffisamment nos futurs confrères à faire face à toutes les contraintes de l’exercice de notre profession, surtout quand elle est exercée d’une manière libérale ? Quelle devrait être la place selon vous de la formation continue ? Comment faudrait-il l’envisager et l’organiser ?

Dr Gérard Navarro : L’université dispose de six années pour former les mains et les cerveaux. C’est long et c’est court. Il est évident que la profession a fait un bond depuis l’avènement des facultés de chirurgie dentaire en 1968 et la disparition des écoles professionnelles. L’objectif d’une formation universitaire est de former des thérapeutes et des esprits critiques. Le mode d’exercice de la médecine buccodentaire est une décision politique de santé publique. Par ailleurs, la profession se féminise, certaines consœurs optent pour l’exercice libéral « à l’ancienne » d’autres se regroupent, les dernières choisissent le salariat.

Comment tout simplement voyez-vous l’avenir des lasers dans notre exercice quotidien et comment pensez-vous qu’il faille organiser un enseignement efficace de ce que l’on peut qualifier d’ores et déjà de spécialité ?

Dr Gérard Navarro : Je pense que les lasers auront une place de plus en plus importante dans notre exercice. Le laser erbium qui peut être utilisé sur les tissus mous et sur les tissus durs à la fois, semble être le plus polyvalent en odontologie et possède une efficacité démontrée en parodontologie. Exemple 1 : Le traitement parodontal assisté au laser Er/YAG utilisé seul est une alternative au traitement chirurgical conventionnel. Comprenez que c’est une thérapeutique d’ores et déjà validée conduisant à des résultats comparables voire supérieurs aux procédures conventionnelles. La combinaison d’une thérapeutique conventionnelle et d’une thérapeutique laser a une efficacité clinique supérieure au niveau des poches profondes.

Exemple 2 : La « Photo Dynamic Thérapy » (PDT) à l’aide de softs lasers diodes de 635 nm, en applications multiples, est indiquée dans la prise en charge parodontale. Elle semble plus efficace que la maintenance conventionnelle en particulier pour les patients fumeurs, immunodéprimée et pour les patients présentant une parodontite agressive grâce au contrôle qualitatif exercé sur le biofilm. Les lasers s’inscrivent aujourd’hui naturellement dans l’arsenal thérapeutique en parodontie. De plus, ils apportent un confort de travail associé à de faibles suites opératoires. L’utilisation des lasers dentaires, en complément avec ou en remplacement des méthodes traditionnelles de la parodontologie et de l’implantologie, sera indispensable en chirurgie dentaire contemporaine dans la mesure où l’irradiation laser qui stimule la production des « Heat Shock Proteins » (HSP) aussi bien au niveau gingival, qu’au niveau osseux, permet d’optimiser la cicatrisation des tissus. Les lasers peuvent être considérés comme des outils prometteurs dont les protocoles opératoires restent à préciser mais dont l’enseignement intègrera forcément toutes les universités en France comme cela devient le cas à l’étranger.

Vous avez la réputation d’être un praticien très rigoureux. En chirurgie implantaire, c’est une obligation. Qu’est-ce qui préside à vos choix ? De quel œil voyez-vous la pléthore de marques d’implants et de produits en général ? Pensez vous utile, voire nécessaire, de choisir un produit ou une procédure donnée ?

Dr Gérard Navarro : Trop d’implants tuent l’implant. Le marché va se rationnaliser naturellement. Les « majors » se regroupent, notez la fusion de Dentsply avec Astra Tech. Les « petits » éclosent et disparaissent, le contrôle qualité est un facteur clef difficile à maîtriser quand la société se développe. Les « moyens » disposent en général d’une certaine antériorité et d’un marché réel et pérenne.

Vous avez toujours attaché beaucoup d’importance à l’information surtout à travers la presse… Pouvez-vous nous dire ce que cela représente pour vous et votre analyse sur la presse professionnelle écrite ?

Dr Gérard Navarro : La presse professionnelle apporte l’information synthétisée au sein des cabinets et promeut la formation continue en suscitant chez les praticiens le besoin d’évoluer et de se former en permanence.

On continue à proposer aux praticiens de très nombreuses conférences et de très nombreuses réunions qui participent à la formation post-universitaire des praticiens. Ce type de formation est-il encore en concordance avec l’époque que nous vivons ?

Dr Gérard Navarro : Bien sûr l’enseignement à distance à travers le Web prendra une place importante, mais je pense, peut-être à cause de mon âge et mon inadaptation générationnelle à ce mode de communication, contrairement à nos jeunes confrères nés avec les ordinateurs et Internet, que le contact direct entre le communiquant et les congressistes, la convivialité, la confraternité que l’on rencontre lors des conférences, restent le point fort de ces rassemblements.

Quelle est la place selon vous de la formation continue ? Pensez-vous utile de la rendre obligatoire ? Comment faudrait-il l’envisager et l’organiser ?

Dr Gérard Navarro : La formation continue est une nécessité, la rendre obligatoire est salutaire. Je ne saisis pas le rôle des syndicats dans le système. Leur indépendance est altérée. L’université devrait jouer un rôle plus important dans les instances décisionnelles.

Comment jugez-vous la défense de notre profession contre toutes les attaques dont elle est victime ?

Dr Gérard Navarro : À vouloir tirer toujours vers le bas, vers le démocratiquement universel, les médias qui ont raison par ailleurs de dénoncer les abus, ne se rendent pas compte qu’ils vont marginaliser les soins de qualité, lesquels ne seront accessibles qu’à la frange sociale aisée, qui elle aura toujours les moyens de se les offrir. Je pense que c’est contre-productif et qu’il faudrait au contraire qu’ils se mobilisent pour rendre les soins d’excellence chers remboursables et donc accessibles à toutes les franges de la société.

Nous vivons une période de difficultés économiques. Pensez-vous à des recettes possibles pour s’en sortir en 2014 ?

Dr Gérard Navarro : En période de difficulté économique, la frange moyenne est étranglée. L’exercice dont l’investissement est faible et qui nécessite peu de temps par patient est favorisé. De même l’investissement technologique et la prise en charge globale est une option thérapeutique qui est viable et recherchée et s’inscrit dans ma vision de la médecine bucco-dentaire.

Enfin pour finir dites-nous comment vous voyez l’avenir de l’odontologie en France et dans le monde… et le vôtre ?

Dr Gérard Navarro : En France, je vois un avenir enthousiasmant du point de vue technologique à l’odontologie. Les matériaux, les matériels vont devenir de plus en plus performants. CFAO, endodontie mécanisée, lasers, radiologie 3D, matériaux d’obturation auto-régénérants, cellules souches, etc. Mais je ne vois pas un avenir administratif radieux pour nos jeunes confrères. Les pouvoirs publics freinent l’application des nouvelles technologies, au nom de la maîtrise des dépenses de santé. Les décideurs pensent que l’offre créant la demande, il est salutaire de geler le numerus clausus, de réduire les actes remboursables, d’augmenter la pression administrative, organisant ainsi la désertification professionnelle. Mon avenir est évident. J’arrêterai quand je n’aurais plus la passion ni la foi. Mais surtout quant l’exercice de mon métier se heurtera à une quantité croissante d’obligations administratives qui freineront mon enthousiasme. Courage et bonne chance aux suivants qui trouveront peut-être des voies et des solutions nouvelles.

Dr Gérard Navarro

  • Maîtrise de Biologie de Paris VII
  • Maîtrise de Physiologie de Paris VII
  • DU d’Implantologie Clinique et Prothétique de Paris VII
  • DU d’Etudes Cliniques Approfondies en Parodontologie de Paris VII
  • Post Graduate in Implantology. NYU
  • Co-President de la Dental Laser Academy. DLA Paris
  • Enseignant à l’European Master of Oral Lasers Applications. EMDOLA
  • Pratique privée